Un jour qu'il rend visite à son frère, des gamins balancent une brique dans sa fenêtre aux cris de "Fous le camp, le fou !". Après être resté longtemps auprès de lui pour le rassurer et le calmer, et avoir posé un morceau de carton sur la fenêtre, il s'en retourne chez lui non sans avoir laissé la brique en évidence sur le bord de la route, avec un mot noué autour: "N'ayez pas peur de lui, il est bien plus terrorisé que vous ne l'êtes, et tout ce dont il a besoin et d'être rassuré".
Jean-François Beauchemin parle ici de son jeune frère schizophrène, qui habite dans le même village que lui et avec qui il a toujours entretenu une relation fusionnelle malgré les crises, les silences et les incompréhensions. Tous deux sont aux portes de la soixantaine et lui, l'écrivain reconnu, qui n'a pas non plus les pieds vraiment sur terre, se souvient de ce jour où, plaqué au sol par des manifestants vindicatifs, son frère perdu s'était tout à coup comme "absenté" et, il en est sûr et certain, il a vu l'âme de son frère s'envoler et se retrouver dans le corps de ce roitelet juché sur un toit, et qui les regardait.
L'écrivain s'attarde sur ces petites choses que seuls les poètes et les rêveurs peuvent apercevoir: le chien si calme de leur grand-père qui tournoyait autour du berceau du petit frère, l'air de renifler quelque chose d'anormal dans l'air. Ou encore ce jour où il échoue à trouver dans les magasins de la ville des vêtements neufs pour son frère, qui portait les mêmes habits depuis plus de 30 ans, ce frère décidément incernable qui décide de lui piquer la moitié de ses fringues dans son armoire parce que, dit-il alors, "s'il faut ressembler à quelqu'un d'autre, autant que ce soit à toi".
Jean-François Beauchemin est un écrivain québecois qui a publié beaucoup mais dont seul le fameux LE JOUR DES CORNEILLES a trouvé ses lecteurs en France. Un roman étonnant, chaleureux et très noir, qui avait fait l'objet en 2012 d'une très belle adaptation en film d'animation par Jean-Christophe Dessaint.
LE ROITELET est un livre splendide sur l'amour fraternel, sur la folie, le malheur d'être différent, sur le malheur et le bonheur de les côtoyer, et d'essayer de comprendre ces gens "malheureux, éprouvé par la schizophrénie". Un texte absolument superbe.