Pour commencer à lire Micéa Eliade, il faudrait d'abord lire celui-ci qui reprend certains de ses autres titres comme le mythe de l'éternel retour.


C'est en quelque sorte une reprise de plusieurs de ses thèses. Dans Le sacré et le profane, Mircéa Eliade cherche les invariants des religions. Ce sont les maisons-monde, les principes de renaissance, les principes de cycles, ce qui fait du sacré un espace-temps autre, ce qui fait "l'homme religieux" un autre homme au monde face à l'hiérophanie... Je ne pense pas qu'il tend à l'universel à travers les thèmes qu'il met développe tout simplement parce qu'il faudrait des exemples dans toutes les religions pour valider sa thèse, néanmoins, il arrive à trouver des correspondances à travers de religions très éloignées et dans le temps et dans l'espace.


CE qui me fait dire que finalement, et il leur faire place à la fin, c'est en psychologue qu'il faut aborder l'ensemble et certainement faire émerger de ce rapport naïf au monde (comprendre religieux, non matérialiste) les biais, les fonctionnements cognitifs qui font de nous des animaux sensibles aux mythes (catégorisation, comparaison, langage...)


La dernière partie est très intéressante en ce qu'il présente l'homme areligieux comme néanmoins soumis à une sorte de religion dépouillée de transcendance à travers d'étranges ressemblances ainsi:


« En somme, la majorité des hommes « sans-religion » partagent encore des pseudo-religions et des mythologies dégradées. Ce qui n’a rien pour nous étonner, du moment que l’homme profane est le descendant de l’homo religiosus et ne peut pas annuler sa propre histoire, c’est-à-dire les comportements de ses ancêtres religieux, qui l’ont constitué tel qu’il est aujourd’hui. D’autant plus qu’une grande partie de son existence est nourrie par des pulsions qui lui arrivent du tréfonds de son être, de cette zone qu’on a appelée l’inconscient. Un homme uniquement rationnel est une abstraction ; il ne se rencontre jamais dans la réalité. Tout être humain est constitué à la fois par son activité consciente et par ses expériences irrationnelles. Or, les contenus et les structures de l’inconscient présentent des similitudes étonnantes avec les images et les figures mythologiques. Nous n’entendons pas dire que les mythologies sont le « produit » de l’inconscient, car le mode d’être du mythe est justement qu’il se révèle en tant que mythe, qu’il proclame que quelque chose s’est manifesté d’une manière exemplaire. Un mythe est « produit » par l’inconscient de la même façon que l’on peut dire que Madame Bovary est le « produit » d’un adultère. »


Et un peu plus haut:


« La grande majorité des « sans-religion » ne sont pas à proprement parler libérés des comportements religieux, des théologies et des mythologies. Ils sont parfois encombrés de tout un fatras magico-religieux, mais dégradé jusqu’à la caricature, et pour cette raison difficilement reconnaissable. Le processus de la désacralisation de l’existence humaine a abouti plus d’une fois à des formes hybrides de basse magie et de religion simiesque. Nous ne songeons pas aux innombrables « petites religions » qui pullulent dans toutes les villes modernes, aux églises, aux sectes et aux écoles pseudo-occultes, néo-spiritualistes ou soi-disant hermétiques, car tous ces phénomènes appartiennent encore à la sphère de la religiosité, même s’il s’agit presque toujours d’aspects aberrants de pseudomorphose. Nous ne faisons pas non plus allusion aux divers mouvements politiques et prophétismes sociaux, dont la structure mythologique et le fanatisme religieux sont facilement discernables. Il suffira, pour donner un seul exemple, de rappeler la structure mythologique du communisme et son sens eschatologique. Marx reprend et prolonge un des grands mythes eschatologiques du monde asiano-méditerranéen, à savoir : le rôle rédempteur du Juste (l’« élu », l’« oint », l’« innocent », le « messager » ; de nos jours, le prolétariat), dont les souffrances sont appelées à changer « le statut ontologique du monde. En effet, la société sans classes de Marx et la disparition conséquente des tensions historiques trouvent leur plus exact précédent dans le mythe de l’Âge d’Or qui, suivant des traditions multiples, caractérise le commencement et la fin de l’Histoire. Marx a enrichi ce mythe vénérable de toute une idéologie messianique judéo-chrétienne d’une part, le rôle prophétique et la fonction sotériologique qu’il reconnaît au prolétariat ; de l’autre la lutte finale entre le Bien et le Mal, qu’on peut rapprocher sans peine du conflit apocalyptique entre Christ et Antéchrist, suivi de la victoire décisive du premier. Il est même significatif que Marx reprenne à son compte l’espoir eschatologique judéo-chrétien d’une fin absolue de l’Histoire ; il se sépare en cela des autres philosophies historicistes (par exemple, Croce et Ortega y Gasset), pour qui les tensions de l’Histoire sont consubstantielles à la condition humaine et ne peuvent jamais être complètement abolies. »


Bonne lecture!

LilianSG
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le 22 mai 2020

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LilianSG

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