le 19 févr. 2023
l'effervescence qui vient
Comme dans Le grand monde, on retrouve le style truculent de Pierre Lemaitre, jamais cynique mais plein de malice dans l'écriture de ses personnages, avec une capacité à enchevêtrer leurs histoires...
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Après Le Grand Monde qui ouvrait l’an dernier la trilogie des Années Glorieuses, l’on retrouve la famille Pelletier comme si l’on venait juste de la quitter. Quatre ans se sont écoulés depuis l’épilogue du premier tome, et, en cette année 1952, la reconstruction d’après-guerre s’achevant en même temps que bientôt la guerre d’Indochine, la narration se recentre sur les mutations sociales de la France qui, en ce début des Trente Glorieuses, quarante ans après les Etats-Unis, fait son entrée dans la société de consommation.
Pendant que Louis, toujours à la tête de sa savonnerie à Beyrouth, se prend de passion pour la boxe où l’un de ses ouvriers s’est mis en tête de percer, son épouse Angèle suit avec inquiétude le parcours de leurs trois enfants installés à Paris. Jean, toujours aussi mal marié et plus que jamais aux prises avec sa violence intérieure, œuvre à l’ouverture d’un grand magasin de prêt à porter bon marché, que le lecteur, amusé, associera volontiers au concept de l’enseigne Tati. François poursuit avec succès sa carrière à la rubrique faits divers du journal qui l’emploie, tandis qu’Hélène, engagée dans la profession de reporter-photographe, doit se frayer un chemin dans un monde d’hommes. Là encore, les clins d’oeil abondent, amenant à l’esprit le journal Paris-Match ou le magazine Elle, et évoquant même directement Françoise Giroud, dont un article sur l’hygiène des Françaises est reproduit en annexe du livre, ou le vrai village de Tignes, qui, comme dans le roman, tenta de résister à la destruction et à l’engloutissement promis par la construction d’un barrage hydroélectrique.
Mêlant avec dextérité tout un bouquet d’intrigues pimentées de suspense – l’étau se resserre notamment autour du tueur en série qui sévit depuis le début de la trilogie – et démultipliant ainsi l’addiction du lecteur, le récit épouse le tourbillon foisonnant de la vie et ne cesse de rebondir, sans baisse de rythme ni de crédibilité, pour mieux nous attacher à ses personnages, suffisamment bien campés pour convaincre et prendre vie. Mais que l’on ne s’y méprenne pas : sous ces apparences plaisantes de divertissement facile, le propos se colore souvent de gravité, touchant notamment du doigt la colère, de plus en plus mal rentrée, d’une génération de femmes à l’orée de la conquête de leur indépendance.
Si Geneviève, l’épouse de Jean, en est encore à une révolte inconsciente qui la transforme en terrible mégère, obstinée à lui faire payer sa souffrance « de n’être pas un homme » en se sabordant dans un rôle marital et maternel dont elle ne se satisfait pas, d’autres femmes commencent, encore silencieusement, à se battre pour leur liberté professionnelle et affective. Elles ont encore un long chemin à parcourir, preuves en sont la précarité et l’injustice qui déclenchent les grèves d’ouvrières, et, de manière plus spectaculaire encore, la chasse aux avortées et aux médecins avorteurs qui se poursuit alors dans la continuité des lois de Vichy. Si, depuis la Libération, l’avortement n’est plus passible de la peine de mort, il reste un délit traqué par des brigades policières spécialisées.
Tout aussi prenant et bien mené que le premier, ce deuxième opus de la dernière trilogie en date de Pierre Lemaitre ne déroge pas à la règle qui rend si remarquables les romans de l'auteur : le noyau central de son histoire, avec ses personnages et leur ressenti individuel, n’est que le prétexte d’une peinture beaucoup plus large d’une époque et de son contexte social, débouchant elle-même sur des perspectives sociétales d’une portée universelle. Alors quand l’intérêt se conjugue aussi bien au plaisir de lecture, l’on ne peut, naturellement, qu’attendre avec la plus grande impatience le prochain rendez-vous avec la famille Pelletier.
Créée
le 24 juin 2023
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