« Certains se cherchent des excuses… »
Combien de fois a-t-on pu entendre dans la bouche d’un pseudo coach ou influenceur mes couilles ce genre de propos à l’emporte pièce, des petites citations, des leçons de vie prémachée, vous rendant aussi responsables de votre malchance que du hasard qui les a propulsés en si bons donneurs de leçons ?
Trop souvent.
Et si on a en tête les concepts et la vision qui résume ces situations, les phrases concises et les démonstrations peuvent parfois se révéler au mieux hasardeuses.
C’est là que Samah Karaki intervient, elle et son bouquin.
Un bouquin de science qui nous rappelle d’abord que ce n’est pas en deux phrases qu’on peut remettre à plat les différences qui opposent l’influenceur qui a « réussi » et celui qu’il regarde de haut et qui « se cherche des excuses ».
Parce que ce livre, c’est une oeuvre extrêmement bien pensée, qui propose, selon un déroulement exceptionnel, de revoir tous les automatismes qui conduisent à glorifier certains individus et, partant, un modèle de société qui promeut et écrase de manière apparemment aléatoire.
Une phrase de la conclusion du livre résume comme ceci :
Les personnes qui nous paraissent exceptionnelles ont des circonstances de vie, des capitaux culturels et socio-économiques, des traits physiques, des connexions et des croyances et ces facteurs prédisent leur succès d’une manière plus écrasante que leur potentiel individuel.
Et toutes les pages qui précèdent cette phrase sont une démonstration scientifique, appuyée sur des centaines d’études internationales, pour avancer, hypothèse après hypothèse, vers un discours éminemment politique.
Parce que oui, le livre de Samah Karaki, comme son titre le laissait présager, est un ouvrage politique. Mais qui sait de quoi il cause.
Alors il est un peu difficile d’accès, rempli de phrases et de concepts alambiqués, l’autrice n’a pas l’habitude d’écrire en français mais lui en vouloir serait malvenu tant sa prose, encore que trop complexe on l’a dit, est exemplaire.
Ce livre de science politique est un ouvrage majeur à mettre entre toutes les mains. Pour les parents en devenir, pour les gens sérieux, pour ceux qui osent se remettre en question, pour ceux qui se cherchent, pour ceux qui veulent comprendre. Mais aussi pour tous ceux pétris de certitudes, reconnaissants de leur propre force et méprisant les tentatives des autres, ceux qui prétendent qu’ils doivent tout à leur force de travail, ceux qui se croient au-dessus d’une mêlée qu’ils auraient conquise.
Le talent est une fiction dépasse de loin son postulat de départ que l’incongruité d’un titre presque putassier laissait imaginer comme superficiel pour offrir une vision aussi cohérente que solide, prouvée et vulgarisée.
C’est Guillaume Meurice qui recommandait cette lecture. Il avait foutrement raison.