L’Immense Territoire de la Pensée Est Toujours à Explorer

Je viens d’achever le premier tome du journal de bord de Maurice Dantec.
Enfin, je viens… il y a deux ou trois heures bientôt : l’épaisseur et la profondeur de ses raisonnements prennent un temps certain à se laisser digérer. Pas d’une quelconque lourdeur, bien au contraire ce sont l’espoir et les visions, les vérités possibles dans un ensemble hétérogène de disciplines littéraires et scientifiques, dans un ensemble de disciplines de la connaissance qui n’en forment qu’une : l’homme. L’homme et son univers, l’homme face à son interface, l’homme comme principe évolutif actif d’un environnement et des conditions qui s’en dégagent… C’est la largeur du territoire exploré et la diversité de ses aspects qui rend le livre difficile à refermer, ardu à synthétiser là.

Il est excessivement compliqué pour moi de décortiquer ici les mécanismes de la pensée de Dantec, la lecture du livre se suffit d’ailleurs à elle-même et je vous y encourage vivement. Je ne me pose pas comme critique ou comme élève mais il est évident que l’auteur, le producteur de ces pensées développées là, m’a profondément atteint : il m’a intéressé par ses connaissances, m’a questionné dans ses doutes, et par ses analyses, ses cheminements de pensées, il m’a enseigné.
Ses conceptions géopolitiques semblent « vraies ».
C’est le premier danger de l’auteur : une clairvoyance à toute épreuve qui nous rapproche cruellement de la réalité et des vérités qu’elle inclut ainsi que de celles qu’elle propose. La lecture est libre et fluide malgré l’intensité des phrases et la complexité des sujets analysés, la lecture est fluide et les vérités s’offrent à nous librement. Les doutes, les questionnements et les jugements s’affirment clairement et indiscutablement, comme il le dit lui-même : « une éthique de la lame », et c’en est impressionnant d’efficacité.
La diversité des sujets ici pensés est en elle-même une source d’intérêt : de l’histoire des religions à la philosophie, de l’histoire des régions à l’art de la politique, de l’art de la guerre à l’art tout court, de l’action de création à l’impossibilité de réaction en passant par les nécessaires destructions. Tout ce que Dantec pense, au jour le jour sur le papier, semble d’intérêt général au sein d’une éducation depuis longtemps oubliée qui nous enseignerait le questionnement : l’art de la recherche.
Ce qui nous mènerait plus loin que ce qu’ils veulent bien nous octroyer de libertés…

Et puis pour celui qui comme moi a lu ses romans, ce journal est un guide précieux qui éclaire ce qui me semblait obscur dans Cosmos Incorporated et Grande Jonction, et qui explique aussi les faiblesses relatives de la première trilogie dans la mise en place d’un univers propre ( ?) à l’auteur. De l’art de la science-fiction et de l’anticipation comme possible ancré depuis notre réel, et notre quotidien semble d’un coup plus futile et plus vain encore si ce n’est de se dresser debout et d’accompagner l’homme en avant…
Je ne peux espérer écrire un jour comme lui – et ne veux : chacun sa voie, trouver son écriture, c’est trouver son chemin. Mais je le remercie vivement car je sais dorénavant qu’atteindre une telle clairvoyance, une telle lucidité se fera à force d’ermitage fait de lectures diverses et variées. Retrouver là où je l’avais laissée, ma curiosité dans tous les domaines de la connaissance qui soient : histoire, géopolitique et religions, sciences, de la vie et autres noms barbares à mes oreilles comme les mathématiques, je n’ose ici parler de physique quantique… Retrouver ma curiosité d’abord et avant tout reconstituer une réflexion, une ingestion-digestion totale, autour de cette vaste et hétéroclite culture qui m’est propre certes, mais qui me relie incidemment aux autres, à tous ceux avec qui j’étais en cours, à tous ceux dont j’ai partagé les lectures sans même le savoir, à tous ceux qui dansent sur les mêmes chansons que moi, à tous ceux qui pleurent au même instant du film, … Tous ceux qui pourraient partager avec moi certaines valeurs ( ?).
Je me rends compte que malgré l’étonnante facilité de compréhension que m’a procuré l’ouvrage lors de cette lecture, l’ensemble, une fois le livre refermé, ressemble à un vaste complexe de grandes lignes de savoirs que j’ai du mal à réassembler seul dans mon petit esprit. Métaphysique - j’écris ce mot en n’ayant qu’une vague idée de ce qu’il signifie ; philosophie - une idée un peu plus précise et encore… je m’entends dans la fragilité de l’Education qu’on nous dispense depuis des décennies et qu’il décrit clairement ; politique - la vie de la cité, la gestion d’un ensemble humain ou d’un ensembles d’humains co-existants ; géopolitique - gestion des territoires et des peuples les uns face aux autres, les uns avec les autres ( ?) c’est plus rare… Même si certains aspects des sciences, des recherches qu’il décrit me sont accessibles, assimilables ; d’autres, compréhensibles, ont du mal à m’imprégner durablement : il m’enseigne qu’il me faut aller plus avant, qu’il me faudra chercher encore et encore…

C’est cette découverte qui donne envie d’abord d’une relecture puis de lectures liées. J’ai d’ailleurs noté plusieurs auteurs que je me dois de (re)découvrir et qu’il cite en plusieurs lieux : Goethe, Nietzche, Kafka, Proust, Baudelaire, Dante, Cervantès, Homère, Shakespeare, Honoré De Balzac, Conrad, William Blake, Oscar Wilde, Borges, Burroughs, Philip k. Dick, Thomas Pynchon, Gilles Deleuze, Primo Levi, Dostoïevski, Samuel Beckett, Zola, Bernanos, Céline. Et la liste est loin d’être exhaustive…
Bref, je ne peux espérer écrire qu’en poussant plus avant mes recherches, en m’ouvrant avidement l’appétit jusqu’à l’infini et au-delà encore : lire pour comprendre, lire pour apprendre, lire pour appréhender, lire pour construire.
Imaginer pour vivre.

Matthieu Marsan-Bacheré
Matthieu_Marsan-Bach
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le 5 mars 2015

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