A propos du Ballet de Fontainebleau :


Il ne faut pas céder à la solution “évidente” hollywoodienne, celle du plan-séquence : certes, Dumas a soigneusement précisé les chassés-croisés et passages de relais entre chaque personnages, en sorte que l’on pourrait être tentés de faire panoter la caméra en suivant ses indications. Mais non ! cette grammaire du plan-séquence est beaucoup trop réductrice, par la faute de la récupération hollywoodienne, et surtout du jeu vidéo ; ça n’est à présent rien d’autre que du FPS, et il faut donc revenir aux sources de ce qui a pu conférer, à un moment donné, toute sa valeur au plan-séquence, à savoir : l’espace. Ne rejetons pas non plus totalement le plan-séquence, mais sachons lui redonner une chance de, pourquoi pas, par après, redéployer ses pleines potentialités.


Ici, donc, pour ce Ballet de Fontainebleau, nous adopterons une grammaire de la TRIANGULATION. Pas de plan-séquence, certes, mais la steadycam demeure néanmoins indispensable. Il s’agit bien de suivre les personnages dans leurs déambulations, mais ponctuées, encadrées, inscrites, ces déambulations, dans un CADRE, dans un cadre soigneusement construit et élaboré au travers de plans d’ensemble et de plans généraux rigoureusement disposés. L’inspiration sera moins “Snake Eyes” de Brian De Palma, que “Die Hard 3” de John McTierman. On n’étudiera jamais assez, dans ce chef-d’oeuvre, la manière dont on peut se repérer à tout moment dans New York, grâce à la science de John McTierman (non pas, bien sûr, dans quel quartier spécifiquement on se trouve, mais plutôt quelle trajectoire EXACTE a suivi la voiture de John McClane).


Quelle est l’idée ? A un moment de la série (car “Le Vicomte de Bragelonne” doit être adapté en série bien sûr), soudain, toutes les intrigues convergent en une unité de temps, de lieu, et d’action, mais non pas une unité FIGÉE, sur une “scène” délimitée une fois pour toutes, mais une unité MOUVANTE, une unité spatio-temporelle INCARNÉE par la prolifération des personnages, mieux, leur PASSAGE DE RELAIS, le fait que, chacun l’un après l’autre, ils reprennent et poursuivent chaque fil de chaque intrigue, suivie jusqu’ici de manière éparse, dispersés en divers lieux du royaume de France (Bretagne, port du Havre, côtes anglaises, châteaux de la Loire, cour du roi, bords de Seine…).


Pour la musique, je pensais à Marc Snow ; qu’il nous compose une partition dans l’esprit de celle des “Herbes folles” d’Alain Resnais (dont cet épisode n’est d’ailleurs presque qu’un “remake”). Volutes flottantes au parfum d’irréel, qui poursuivent, ou semblent poursuivre, à part elles, leur propre conversation, relativement indépendamment de celles que l’on filme quant à nous, mais cependant seulement relativement, c’est-à-dire prêtant malgré tout une oreille attentive, et réagissant, comme par écho, au contenu de ce qui est dit, en une sorte de parallélisme.


Un exemple : le “climax” : Montalais, Montespan, et Louise de La Vallière dans leur conversation à elles qui soudain prend un tour assez angoissant, un jeu malsain dans lequel Louise n’est pas à son aise, et son malaise va croissant – et alors la musique renchérit, son discours se teinte de dissonances de plus en plus âpres, en un crescendo heurté, jusqu’à – effroi ! : le roi ! enfin pour l’instant seulement une ombre, mais qui ponctue le crescendo et libère la tension en un éprouvant “effet de surprise” typique des films d’angoisse (nous avons basculé momentanément dans un autre “genre”...).


Puis le ballet reprend, comme passant, en toute simplicité, à autre chose.


A un moment, une trouée : un personnage apporte un message, et soudain : cut : nous sommes sur une plage, il fait nuit noire, la lune nimbe la mer de reflets d’argent. C’est le duel entre de Wardes et Buckingham. Aucun dialogue, aucun son “diégétique” ; seulement des bruitages, d’eau de mer, de ressac, de sable foulé… De temps à autres, quelques sons d’épées qui s’entrechoquent. Tout semble irréel, comme sorti de nulle part (voir le “Tabou” de Miguel Gomes). Grammaire ici de l’insert, du montage eisensteinien : plans d’ensemble et plans rapprochés, mais en un rythme saccadé, et surtout, une caméra immobile : c’est le montage qui fait tout le travail. (voir aussi Guy Gilles). L’idée est que ceci sort de nulle part, c’est une trouée subite, sans explication, avec comme seul prétexte l’apport du message de de Wardes au chevalier de Lorraine. Buckingham transperce de Wardes, plan d’ensemble, mais très bref, le temps de figer les deux silhouettes en deux statues sombres dans la nuit bleue, puis gros plan sur le ressac de la mer : un liquide noir se répend et se mélange à l’écume… Et l’on termine sur Buckingham, qu’illumine seul le reflet de la lune dans ses yeux, et l’on reste ainsi quelques instants, qui doivent paraître très longs, pendant lesquels on ne sait ce qu’est ce Buckingham qui reste sans rien faire (de Wardes reste en hors champ, sans doute continuant de se vider de son sang)... – On remet au prochain épisode la narration de ce qu’il s’est passé, ensuite.


Puis, encore une fois, le ballet reprend…


Il se termine sans effet, comme chez Dumas : on passe sans aucun effet à l’auberge où Aramis devient général des Jésuites. Ça n’est que la suite, et puis c’est tout ; laquelle trouvera sa forme, comme on a trouvé celle du Ballet de Fontainebleau. Pas besoin d’en rajouter, l’esprit est à la fluidité, à la poursuite vaille que vaille de l’intrigue.

Nom-de-pays-le-nom
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Créée

le 7 août 2025

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