La plus belle citation de la littérature

« Le père, excédé, morigéna son fils», dit la grammaire, c'est sans importance, mais «la sale carne a encore épignolé le fromage des clients!» et la boutique s'assombrit, ma mère hurle…. Les seules choses vraies sont là, celles qu'on sent partout, même entre les jambes. Les gâteaux roses qui m'ont fait dégobiller toute la nuit, ma mère me souffle dans le noir «avale la menthe, ça t'enlèvera le barbouillage». Grincement clair du goupillon dans les bouteilles que mon père lave et son «fous le camp d'ici, la gosse!» Toute chaude à l'endroit, «mets-y pas la main, ça l'esquinte»... Abat-voix, abaisse-langue, allégorique, ça, c'était toujours un jeu, et je récitais les pages roses, la langue d'un pays imaginaire. C'était tout artificiel, un système de mots de passe pour entrer dans un autre milieu. Ça ne tenait pas au corps, ça ne m'a jamais tenu sans doute, embroquée comme une traînée que dirait ma mère, les jambes écartées par le spéculum de la vioque, c'est comme ça que je dois dire les choses, pas avec les mots de Bornin, de Gide ou de Victor Hugo. Tout ce que j'ai pu avaler comme histoires, littérature, romans. Les mots de mes parents, là-bas tout au fond, ceux dont j'évite de me servir, ou que j'ai oubliés, même pas volontairement, enfouis sous des milliards d'autres, exercices de la grammaire jaune du cours moyen, Lisette, Ames vaillantes, toute la Bibliothèque verte, les Lectures expliquées, les petits classiques, le Lagarde et Michard, ça a rentré par tous les bouts. Je ne pourrais pas les retrouver, les premiers, les vrais. Ceux de l'école, des livres ne me servent à rien ici, volatilisés, de la poudre aux yeux, de la merde.

Ouiouilebi
8
Écrit par

Créée

le 26 mars 2024

Critique lue 6 fois

1 j'aime

Ouiouilebi

Écrit par

Critique lue 6 fois

1

D'autres avis sur Les Armoires vides

Les Armoires vides
Jumpy
8

Les armoires vides : un avortement de la mémoire

Le rejet de « quelque chose » de pourri, enterré dans le ventre. L’évacuation de la honte. L’élimination de la « déchéance » : l’avortement Dans son premier roman, publié en 1974, Annie Ernaux (Prix...

le 10 avr. 2013

5 j'aime

1

Les Armoires vides
JackoLantern
7

Déterminisme social

Un livre dur sur la fatalité sociale, l'histoire de l'avortement d'une jeune femme issue des milieux populaires, douée pour les études, qui ne trouve sa place nulle part. Une histoire âpre où l'on...

le 27 déc. 2010

2 j'aime

Les Armoires vides
Ouiouilebi
8

La plus belle citation de la littérature

« Le père, excédé, morigéna son fils», dit la grammaire, c'est sans importance, mais «la sale carne a encore épignolé le fromage des clients!» et la boutique s'assombrit, ma mère hurle…. Les seules...

le 26 mars 2024

1 j'aime

Du même critique

Sans soleil
Ouiouilebi
8

Voilà pourquoi je ne laisserais jamais dire que 20 ans n’est pas le plus bel âge de la vie…

La jeunesse qui se rassemble tous les week-ends à Shinjuku sait d’évidence qu’elle n’est pas sur une rampe de lancement pour la vraie vie. Qu’elle même est une vie, à consommer tout de suite, comme...

le 8 avr. 2024

12 jours
Ouiouilebi
9

De l'homme à l'homme vrai, le chemin passe par l'homme fou

Plongé au fond des yeux des patients, on peut saisir le tragique et le sublime de la vie. L'immatériel jaillit de toutes parts.

le 7 avr. 2024

Quatrevingt-treize
Ouiouilebi
9

Gauvain, ce socialiste

« Ma pensée est : Toujours en avant. Si Dieu avait voulu que l'homme reculât, il lui aurait mis un œil derrière la tête. Regardons toujours du côté de l'aurore, de l'éclosion, de la naissance. Ce qui...

le 25 mars 2024