"à tout il y a une morale, il n'est que de la découvrir"

Que peut-on dire de plus que tout ce qui a déjà été dit sur ce livre ? Faut-il rappeler que, non content d'être un chef d'œuvre, Alice au pays des merveilles a marqué d'une façon incommensurable tout l'imaginaire collectif occidental depuis plus d'un siècle ? Faut-il parler de Lewis Carroll, personnage fascinant, à la fois mathématicien, photographe, conteur ? Faut-il préciser l'existence d'une Alice Liddell, qui paraît très éloignée des images que l'on a d'Alice ?
Insistons sur l'incroyable intelligence du livre.
Tout d'abord, il faut préciser que ce n'est pas un conte (genre dans lequel le livre est généralement classé). Bien entendu, à défaut d'un genre particulier, il faut bien le classer quelque part. Car ce livre ne ressemble à aucun autre. Et pas à un conte, car l'histoire n'est pas suivie, les personnages ne sont pas classés en bons et méchants, le merveilleux est très spécial...
Non : ce livre appartient au domaine du rêve. Avec un talent remarquable, Lewis Carroll a réussi à recréer l'ambiance si particulière des rêves. Ça commence par la chute, l'interminable chute du début du livre. Une chute qui n'affole pas vraiment Alice, qui en profite pour se livrer à diverses réflexions. Et qui atterrit en douceur.
Autre épisode qui relève directement de l'onirisme : les larmes versées par Alice, qui se transforment en une sorte de mer; le décor change d'un coup, on sort de la maison pour se retrouver... on ne sait pas vraiment où, mais en extérieur.
Alors, c'est donc un rêve. Mais ce n'est pas une raison pour se dire que tout est bizarre, et laisser de côté de possibles sens plus ou moins bien cachés.
Car ce rêve est émaillé de réflexions qui paraissent simples mais sont, en réalité, parfois ardues. Des réflexions sur le langage, le rapport entre le son d'un mot et son sens (ce qu'on appelle le signifiant et le signifié). Par exemple, Alice utilise les mots justes, d'une façon correcte, mais sans connaître le sens de ces mots.
Ainsi, subtilement, le livre se transforme en une fine critique des savoirs inculqués aux élèves en son temps. La moquerie s'étend aussi aux conversations vides de sens. Les dialogues absurdes sont une formidable (et féroce) façon de critiquer les conventions sociales de son temps. Et, au passage, l'aspect politique de l'œuvre se permet de régler son sort aux despotes de tous poils, avec ce couple royal qui occupe la fin du livre.
Mais le livre n'est pas qu'une critique. Il y a aussi des réflexions et des questions qui sont autant d'initiation à la philosophie. Quand Alice se demande ce que devient la flamme d'une bougie qui est éteinte, ne peut-on pas voir une réflexion sur la mort ? Et chaque fois qu'elle dit ne pas être la même que la veille, on aperçoit bien le questionnement sur ce qui constitue un individu. Si, à cela, on ajoute les constants changements de taille d'Alice, qui ne cesse de grandir et rapetisser, alors on obtient un fascinant portrait de l'adolescence et des questions qui s'y rattachent.
Je pourrais continuer comme cela très longtemps. Ce livre est une inépuisable source de réflexion. Comme tous les grands livres pour enfants, il est idéal pour les adultes et peut être savouré à tout âge. D'autant plus qu'il est écrit d'une façon remarquable, qu'il est très drôle (et qu'il constitue un casse-tête pour les traducteurs, vu le nombre de jeux de mots).

Créée

le 4 juin 2012

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SanFelice

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