Les Cavaliers
8.3
Les Cavaliers

livre de Joseph Kessel (1967)

L’histoire est assez simple à résumer, si on garde seulement les grandes lignes.


Elle raconte l’aventure du bouzkachi, un jeu ancestral afghan qui rassemble les peuples et les hommes autour d’une troupe de cavaliers – les tchopendoz – qui se battent pour l’immense honneur d’être les plus grands, les plus célèbres tchopendoz.


Elle raconte aussi la vieillesse d’un homme, le grand Toursène, le plus célèbre des tchopendoz, héros adulé parmi les héros, devenu dresseur de chevaux et qui a gardé la volonté de dresser Jehol, le plus puissant et vaillant des chevaux de bouzkachi.


Elle raconte le combat d’Ouroz, fils de Toursène, à la soif de victoires et de grandeur insatiable, rongé par la jalousie de rester toujours dans l’ombre d’un père dur et intraitable.


Elle raconte le premier bouzkachi royal de Kaboul, la chance d’Ouroz d’atteindre enfin la lumière, sa chute et sa déchéance. Et sa victoire.


Elle raconte aussi la vieillesse et la mémoire d’un homme – l’Aïeul de tout le monde – la sagesse et la patience, le souvenir et la connaissance.


Elle raconte surtout le triomphe de Jehol, le cheval merveilleux, plus généreux, plus courageux, plus fidèle qu’aucun homme.


Elle raconte enfin l’épopée d’un duo, d’un trio d’êtres humains, à travers les steppes et les montagnes, le retour honteux, l’humiliation et la vengeance, l’amour et le désir, la transformation de l’innocence en haine insondable. La mort et la renaissance, la victoire et la soif de vivre.


Elle n’est finalement pas si simple à raconter cette histoire.


Résumer ce livre, c’est comme essayer de raconter plusieurs vies d’hommes, comme sonder l’esprit d’un peuple, comme traverser un désert et en décrire chaque grain de sable.


Dans cette épopée magistrale, des personnages se croisent et apparaissent ou disparaissent au gré des pages, des personnages qui ne sont pas des héros, juste des humains plein de tares et d’erreurs, de défauts et aussi d’un peu de beauté, de bonté peut-être même, quelque part.


Qui est le personnage principal de cette histoire ? Sans doute Jehol, le cheval roi, le cheval fou, plus humain que les humains, plus noble et grandiose que tous ces hommes. Le cheval pour lequel Ouroz se bat, peut-être finalement la seule créature qu’il respecte réellement dans cette incroyable histoire. Ce cheval qui sauvera son maître est à lui seul une ode à la beauté et à l’intelligence de toute une race.


Et cet homme, Ouroz, le fils du grand tchopendoz Toursène, qui traverse les steppes et les montagnes d’Afghanistan sur le dos de son cheval fou, qui connaît la faim, la soif, la maladie, lui qui n’a jamais rencontré d’obstacle. Ouroz est l’homme qui ne cède pas, ni devant la mort, ni devant les charmes d’une femme sorcière, ni devant la pureté d’un homme qui le vénère.


Ouroz, c’est l’homme qui réussit à transformer l’innocence en haine pure, qui change cet homme bon, son serviteur, son saïs, Mokkhi en démon prêt à assassiner son maître.


Et Mokkhi, à la fois amoureux de ce cheval merveilleux et d’une femme, une tzigane, plus pauvre encore que lui, une misérable créature méprisée, maltraitée et souillée par la vie, par les hommes, par Ouroz. Mokkhi qui est prêt à tout pour sauver maître et cheval, et qui devient l’empoisonneur, l’ennemi, guidé par la haine aveugle et la soif de vengeance d’une femme qui en veut à la terre entière, et plus encore aux hommes.


Et cette femme Zéré, qui use de ses charmes sur Mokkhi, cet homme naïf qui croit pouvoir la sauver, et qui est transformé à la fois par elle et sa haine, et par Ouroz et sa défiance, sa superbe et son arrogance.


Et le père, Toursène, qui voyage aussi loin que son fils, mais sans jamais bouger. Qui voyage dans ses souvenirs, qui se repent et pardonne, mais qui reste fier et droit. Même aidé par Guardi Guedj, le conteur centenaire, qui suit les grande histoires pour les conter, Toursène ne trouve pas la paix, jaloux d’un fils jeune prêt à le surpasser, luttant contre la vieillesse qui s’empare de son corps.


Cette relation entre le père et le fils, qui ne se croisent qu’au début et à la fin de l’histoire, plane sur tout le roman, imposant à l’un comme à l’autre des comportements, des réactions guidées par une volonté de rendre fier, d’impressionner, de se faire aimer de l’autre.


Ces personnages, on les aimera et on les détestera, pour leur bêtise ou leur courage, leur égoïsme ou leur fierté. Ces personnages d’un incroyable réalisme, tellement vrai qu’on les suit avec exaltation, sans reposer le livre, en tournant les pages au plus vite pour rester avec eux, les voir avancer, peiner, souffrir, réussir et traverser ces épreuves. Pour les voir vivre et mourir.


Tous ces hommes et femmes inscrivent leur histoire dans cette grande histoire, cette grande aventure, qui raconte la brutalité d’un pays, mais aussi sa beauté, ses traditions et sa culture. Cette histoire nous plonge au cœur d’un endroit merveilleux, magique, qu’on connaît à notre époque actuelle par les guerres et les bombes, à travers des actualités et des journaux télévisés. L’Afghanistan, ce pays de montagnes arides, de steppes verdoyantes, de lacs miroitants, Kessel nous l’étale devant les yeux, nous le montre par la merveille de ses mots.


Si les descriptions vous font peur, plongez sans hésiter dans ce roman qui est un véritable tableau vivant d’un pays incroyable, et qui vous réconciliera sans doute avec la description. Parce que les descriptions sont ici des images sublimes, des images qui vous transportent et vous font galoper dans les herbes hautes, marcher le long d’un précipice vertigineux, ou dormir dans un caravansérail haut perché à flan de montagne. Laissez-vous guider…


À lire aussi, avec plein d'autres, sur : http://www.demain-les-gobelins.com/les-cavaliers-joseph-kessel/

GobelinDuMatin
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le 19 janv. 2017

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