Si je devais résumer les sentiments contradictoires qui m'ont envahi à la lecture de cet ouvrage, c'est qu'il est à la fois daté et très actuel.
Daté, parce que le dernier chapitre le montre, Paul Nizan attend le grand soir prochain dont il a vu la promesse dans le marxisme, et pense en apercevoir le frémissement annonciateur, en disant que les philosophes doivent choisir leur camp.
Daté encore lorsque l'ouvrage fait un éloge dithyrambique de l'URSS et appelle l'intellectuel à devenir un révolutionnaire professionnel, sur l'inspiration de Lénine.
Daté, en reprenant tous les stéréotypes de la vulgate marxiste, opprimés / oppresseurs et l'inévitable bourgeois / prolériat, ou le sens de l'Histoire.
Et pourtant.
Malgré tous ces travers, l'ouvrage de Nizan reste d'une fraicheur remarquable, non tant à cause des sommités qu'il met en cause, aujourd'hui tombées dans un anonymat historique, que par: - - sa démonstration de la fausseté d'une démarche philosophique consistant à prétendre fonder des certitudes éternelles, et à s'absoudre de la contingence;
- son analyse percutante de l'ignorance dans laquelle se trouvent et se complaisent les élites sur la réalité du vécu de leurs concitoyens tout en s'attribuant un rôle de direction de leur esprit et de leur conscience;
- sa force de conviction lorsqu'il aborde le sujet de l'abstention ou du refus de choisir du clerc qui aboutit, de près ou de loin à soutenir le système en place;
- sa présentation de la philosophie comme outil intellectuel venant justifier les rapports de dominations économiques, juridiques ou politiques.
Bref les chiens de garde de Nizan n'ont peut être plus toutes leurs dents, mais celles qui restent sont dures et leus aboiements peuvent encore être entendus aujourd'hui.