Seule avec Léo, son fils adolescent passionné de surf, Anna habite un mobile-home et subsiste modestement de la vente de poulets rôtis sur les marchés de la côte Atlantique. Un accident qui la prive de sa camionnette vient mettre à mal sa situation financière déjà fragile. Les déboires s’enchaînant, elle finit par accepter, à contre-coeur et en désespoir de cause, de participer au jeu de télé-réalité auquel son fils l’a inscrite. Pour gagner un pick-up d’une valeur de 50 000 euros, il faut être le dernier à garder la main posée sur le véhicule. Commencent, pour les vingt candidats sélectionnés, des jours et des nuits d’épreuve absurde, filmée sans relâche par d’indiscrètes caméras...


Se prêter aux humiliations d’un jeu télévisé pour tenter d’échapper à la pauvreté : pour sa plus grande honte, voilà ce à quoi en est réduite la vaillante Anna, défaite par une précarité que quelques aléas et la kafkaïenne indifférence d’une bureaucratie déshumanisée ont suffi à transformer en insurmontable insolvabilité. L’ancienne surfeuse idéaliste et rebelle se retrouve ainsi partie prenante d’un pathétique championnat de la médiocrité, complice de l’avidité commerciale de puissants sponsors, de la mégalomanie d’un présentateur narcissique et de la folle détermination de joueurs prêts à tout pour une once de notoriété. Encore faut-il ajouter au tableau le voyeurisme d’une foule manipulable et versatile, accourue en masse au spectacle avec l’envie du sang comme autrefois aux jeux du cirque. Le public ne sera pas déçu, fatigue et ridicule ne tardant pas à ôter toute dignité aux concurrents, corps défaits et âmes vendues à une fin matérielle justifiant tous les moyens. C’est désormais au rythme des éliminations que progresse le récit, tendu vers une victoire aux couleurs de l’avilissement et du dégoût.


Pourtant, en filigrane de la satire cruellement cynique, transparaît aussi le conte moralement positif. Pendant que les puissants - industriels, politiciens et technocrates - virevoltent dans la seule obsession de leur cote de popularité et de leur bancabilité, une Présidente de la République continue malgré tout de s’attacher à ses valeurs humanistes et citoyennes. Marginale, elle ressemble un peu à quelque divinité dépassée par les errements inconséquents de ses créatures, mais ne désespérant pas qu’il s’en trouve bien une un jour pour racheter toutes les autres. Anna et Léo seront-ils ces exceptions capables de sauver la foi en l’humain ? Face à l’abjection, tous deux ont une échappatoire : le surf, son sens du sublime et ses idéaux de liberté, de beauté et d’harmonie avec le cosmos. S’aimeront-ils assez pour, ensemble, faire triompher leurs valeurs ?


Observateur sans illusions de la société et de ses puissants tropismes mercantiles et narcissiques, Joseph Incardona nous livre une fable féroce, sardonique, mais qui, aux frontières de l’absurde, laisse finalement le coeur l’emporter sur le cynisme.


https://leslecturesdecannetille.blogspot.com

Cannetille
7
Écrit par

Créée

le 14 juil. 2023

Critique lue 30 fois

3 j'aime

3 commentaires

Cannetille

Écrit par

Critique lue 30 fois

3
3

D'autres avis sur Les Corps Solides

Les Corps Solides
Verstraete_Oliv
8

Critique de Les Corps Solides par Verstraete_Oliv

Il y a des jours où on peut dire que les planètes sont alignées : réussite professionnelle, amoureuse, santé, amitié. Tout vous sourit, vous vous sentez invincibles. Mais quand les planètes ont...

le 18 oct. 2022

2 j'aime

3

Les Corps Solides
Nelly-H
10

Critique de Les Corps Solides par Nelly-H

Lu dans l'édition de poche à paraître aux éditions Pocket le 24 août.Merci aux éditions Pocket et à Netgalley pour le service de presse. Anna élève seule son fils Léo, 13 ans. Veuve, elle survit...

le 24 août 2023

Les Corps Solides
TmbM
3

Critique de Les Corps Solides par TmbM

Tout est bancal dans ce livre misérabiliste au possible et affligé d'un manichéisme primaire : les protagonistes - tous, des personnages principaux à la figuration en passant par les rôles...

Par

le 29 nov. 2022

Du même critique

Le Mage du Kremlin
Cannetille
10

Une lecture fascinante

Lui-même ancien conseiller de Matteo Renzi, l’auteur d’essais politiques Giuliano da Empoli ressent une telle fascination pour Vladimir Sourkov, « le Raspoutine de Poutine », pendant vingt ans...

le 7 sept. 2022

18 j'aime

4

Tout le bleu du ciel
Cannetille
6

Un concentré d'émotions addictif

Emile n’est pas encore trentenaire, mais, atteint d’un Alzheimer précoce, il n’a plus que deux ans à vivre. Préférant fuir l’hôpital et l’étouffante sollicitude des siens, il décide de partir à...

le 20 mai 2020

15 j'aime

7

Veiller sur elle
Cannetille
9

Magnifique ode à la liberté sur fond d'Italie fasciste

En 1986, un vieil homme agonise dans une abbaye italienne. Il n’a jamais prononcé ses vœux, pourtant c’est là qu’il a vécu les quarante dernières années de sa vie, cloîtré pour rester auprès d’elle :...

le 14 sept. 2023

14 j'aime

6