Le Cercle des enfants disparus. L'École anti-Buisson-nière. Elephant Man. Armageddon Time.

Une professeur nous parle de son métier. Ma liste de remarques:

"De plus en plus souvent, j'alphabétise des élèves qui ont un traumatisme. Un trouble du comportement. Un handicap moteur ou neurologique. Parfois tout cela." ...et beaucoup disparaissent du jour au lendemain; elle n'arrive pas toujours à en avoir des nouvelles.
  • je le lis dans le cadre d'un Prix Bayard Presse.
  • je n'avais pas lu de résumé, de critique ou la quatrième de couverture, alors quand j'ai compris au bout de quelques lignes, que j'allais écouter une prof de langue au sujet des difficultés et joies de son métier, j'ai envisagé la suite avec une petite crainte mal définie...d'ennui mortel et j'envisageais une répétition de tout ce que j'entends depuis longtemps....à tort.
  • le fond est en partie banal, la forme se révèle souvent drôle et même extrêmement émouvante, surtout à l'occasion d'un 'hug' qui m'a pris par surprise et fait trembler mes petits bras. C'est lorsqu'une élève arrive en retard, en pleurs et finit par serrer sa prof dans les bras. C'est mieux dit que ça et c'est mémorable, même si tout simple...ça me rappelle mes départs de gare, aéroport etc. (cf. page 65)
  • cette accolade entre élève et prof m'a bouleversé par surprise et aussi quand elle incite les plus habiles à prendre une position de mentor (comme dans des écoles Anglaises, je crois): "J'apprends aussi aux plus autonomes à aider les plus faibles et à modérer leur prise de parole. Ce sont mes béquilles..." (page 29)
  • c'est une prof qui apprend le Français à des enfants d'ailleurs.
  • ça m'a soudain rappelé une information dite en-passant dans le film 'Retour à Bollène' du (je crois) producteur Saïd Hamich parlant de son enfance en France récente d'esclave pour son père dans leur ferme. Ce film m'apprenait le 'détail' que la mairie dite d'extrême droite avait soudain à son arrivée au pouvoir fait cesser les cours de Français ! Même des gens de vraie extrême droite serait abasourdis par cette action stupide contreproductive antipatriotique. Le personnage de ce livre est une patriote, hussarde de la République 'en première ligne' (sic) qui apprend le Français aux autres. Saïd Hamich était selon lui enfant esclave en France dans la ferme de son père; ici, la prof croise "Afa (orphelin), qui était ramasseur d'oignons à 10 ans"...en a le dos cassé. Cette professeur sent que l'argent est devenu clé pour lui (pages 106/07)
  • le livre commence par des chouineries concernant le lieu de travail et l'attente d'information: cauchemar et incertitudes sur le futur d'un prof; que le système éducatif semble avoir désormais étendu aux élèves par le système Parcoursup...
  • en mini détail, qui nous la rapproche, elle découvre et rappelle que "les horaires des bus des villes ne concordaient pas avec ceux de l'arrivée des trains"
  • tous ses voeux n'ont pas été satisfaits mais elle est contente qu'un certain supermarché n'est pas trop loin...ce qui me rappelle quand je choisissais un lieu de vacances et savais que je pourrais trouver pas loin une 'discounter' afin de pouvoir me passer de certains quasi escrocs locaux à marge de dentistes.
  • ses élèves ne sont pas francophones, changent, viennent et partent: elle s'attache parfois, pas toujours, et comme moi avec des copains de classes, revoit celles et ceux qu'elle préfèrerait ne pas recroiser et pas ceux et celles qui lui manquent.
  • elles accueillent des "Maliens, des Ivoiriens, des Sénégalais, Egyptiens, Roumains"...de rares "Pakistanais, Afghans"
  • j'aime ses synonymes à l'expression 'quand les poules auront des dents'...ça arrivera sans doute comme "votre accession au trône d'Angleterre si l'un des princes tombe amoureux de vous" (c'est au sujet des chances et probabilités de voir un de ses ados suivre un cursus dit "général")
  • plus tard au sujet d'attendre une place dans un centre médico-pathologique (CMP), "c'est comme espérer habiter à la Maison-Blanche sans être citoyen américain"..."alors je fais cours à un enfant sourd"..."les faire parler, c'est comme attendre la victoire de France à l'Eurovision".(p23)
  • "alors je fais cours à un enfant sourd"???!!!! ....de nombreux passages comme celui-là, m'ont fait penser contre mon grès à 'La chambre des officiers' voire à ...'Freaks la monstrueuse parade' où le cirque et roulotte seraient un lycée.
  • en parlant de film, comme cinéphile, des infos et avertissement de ce livre de 2023 nous avaient été donnés par le scénariste et réalisateur Michael Winterbottom dans son inoubliable (pour moi) 'In this world' de 2002.
  • en parlant de film, elle fait sortir du mutisme un pakistanais renfermé grâce au film...'La smala' (de Jean-Loup Hubert; genre de réalisateurs que je verrais bien faire un film de ce livre). Mouss le Sénégalais en serait une des vedettes: il doit être épuisant comme élève mais aussi source de plaisir professionnel (qualifié "d'excité", de "nerveux", de "traumatisé", par les différents corps de métier).
  • en parlant de film, on apprend qu'elle utilise comme outil pédagogique et conversationnel la projection du documentaire: 'Sur le chemin de l'école' que je découvre sur SC d'un Pascal Plisson.
  • (pas de chauffage dans leur bidonville) "Pas d'empreinte carbone: c'est déjà ça de pris pour la planète"...elle a parfois des touches d'humour noir (cynique même , si j'en connaissais le sens)...ça me rappelle qu'attendant l'ouverture d'une salle de la Villa Gillet à Lyon pour une conférence sur les philosophes cyniques, un des visiteurs sur les marches en hauteur devant moi, s'est retourné et nous a lancés: "On nous traite comme des ...chiens" ...wink wink...un des plus gros bides et flops de tentatives d'humour à laquelle j'ai assistées...et pourtant, j'en ai moi-même eues. (l' étymologie du courant philosophique cynique vient du mot 'chien').
  • Mes seuls bemols et courts passages moins aimés sont l'allusion à Aylan et à la colonisation. Son partage est émouvant quand elle dit "Quand j'ai vu Aylan, j'ai pensé à mon fils" mais suivi un peu plus maladroitement d'un plus tardif "Dans ma classe, nous sommes tous des Aylan" (sic). Je comprends bien ce qu'elle cherche à dire mais cette photo est je crois à utiliser avec hyper parcimonie...Même si son "Mes élèves me lèguent cet héritage malgré eux. Je sens leur souffrance, je la transporte dans mon cabas..." etc. me rappelle que les profs et coiffeurs sont très dépressifs à force de partager les emmerdes des autres. Elle ajoute carrément: "Je voudrais réanimer le corps d'Aylan en racontant qui ils sont" (sic)
  • Plus contestable mais libre de le croire; surtout que c'est que sur une demie-page (22) donc c'est pas le livre... mais en quelques lignes, elle n'arrête pas de s'autoflageller: "Parfois, je pense que c'est ma faute à moi, la descendante de colons(sic) et de pieds-noirs , si mes élèves arrivent ici. Après tout le désordre des derniers siècles en Afrique. Mes ancêtres les Gaulois ont foutu le bazar(sic), ont irrigué les terres infertiles, ont apporté les techniques, certes, mais ils ont surtout mis un beau bordel. J'apprends à lire aux gamins, dans un pays qui n'est pas le leur (sic), car ils ne peuvent plus aller à l'école chez à cause (sic) de nous. La logique du monde".
  • ...et dernier mini passage dont je suis moins fan même si aime tentative d'humour et honnêteté: "....décidément, l'injustice, c'est moche :(le frère des deux) qui ne savait pas lire était aussi celui qui était le laid (des deux)" (sic; page 23)
  • elle m'est meilleure quand quand elle me fait découvrir toutes ses idées d'activités, sa patience et 6e sens etc. Moins pour son opinion en géopolitique et histoire. Elle est hyper touchante quand elle réalise qu'elle s'est attachée à certains, dont elle n'entends hélas plus parler.
  • elle nous apprend que bien souvent, seuls les frères viennent à l'école, car leurs soeurs restent à la maison; c'est page 23 mais j'adore quand page 42, on découvre que parmi toutes ses astuces et pratiques, elle fait en sorte qu'un garçon soit assis à côté d'une fille en classe, pour le plus grand choc de certains de ses élèves (encore une scène de film ou doc: "Oooooooooooooh nonnnnnnn, Madame!"). D'ailleurs sur cette page où elle décrit qu'elle les inspecte dans le couloir mais qu'elle se sait aussi être analysée par eux, elle m'a soudain fait resurgir James Coburn et ses 12 salopards en ligne, les et le testant aussi!
  • machisme et culture aussi des BRICS recroisés plus tard page 129 avec:
(chez ces gens-là; comme disaient Brel) "On ne s'endette pas pour faire migrer une fille. On ne mise pas son avenir sur une fille". Plus tôt, (je ne sais plus où) , elle se souvenait d'un prof qui ne pouvait se souvenir de son prénom mais de ceux des garçons et confondaient les filles...puis elle croisera un autre prof arguant que les métiers féminisées "perdaient de leur valeur" (sic).
  • en autre belle scène de film, page 53, un twist révèle qu'une fille muette, discrète, gardant son manteau...était en fait hyper bossue et cette Elephant woman se précipite enfin au tableau pour juste écrire: "Il était une fois"...quoique si on le mettait dans un film, Le Masque et la Plume ou des connards diraient que c'est too much, trop, du emotionnal porn irréaliste.
  • un autre twist est page 72/73 où sauf erreur on découvre qu'elle est l'un d'entre eux: c'est clé. Ou plutôt elle se voit comme l'un d'entre eux. Différent. Je n'ai pas très bien compris, je relirai...mais ce n'est pas qu'elle venait d'un autre pays, mais c'est comme si elle croit qu'elle avait des airs de quelqu'un d'une autre dimension, une sorte de Manimal, mi-homme, mi-léopard roux...car un photographe l'a stigmatisé quand enfant et des enfants se moquaient. Et elle a croisé aussi des gueules cassées qui l'ont marquée. Plus tôt elle faisait allusion à Elephant Man, ici, j'ai eu l'impression qu'elle me parlait d'une enfance à la 'Mask', le film quasi chef d'oeuvre de Peter Bogdanovitch avec Cher, sur un enfant pas comme les autres...
  • plus tard, on apprend qu'enfant, cette Drômoise était amie d'une tzigane en classe qui a disparu (une ...Nadine, fumeuse...sans doute sous la pression d'une famille violente).
  • un autre twist est lors de la visite de l'inspecteur où une élève lui joue un tour pendable et cette élève révèle un vrai ou faux racisme au lieu de parler "d'environnement" comme prévu (page 172):
""Ben, moi, si j'étais Présidente de la République, je mettrais tous les blancs en prison. Ou je les tuerais""...ça change de Ségolène Royal comme candidate. La prof conclue: "Salimata s'envolera un jour très haut" ...elle me parait pourtant déjà bien perchée la chemise brune en herbe. C'est la même qui ne supporte pas que des élèves de 3e s'embrassent devant tout le monde...ou que les adultes se tiennent par la main, "se touchent" (sic) . JE ME DEMANDAIS TOUT LE LONG DE CETTE HYSTERIE d'enfant: MAIS QUI LUI ENSEIGNE CET ENDOCTRINEMENT?? (pages 181-3)
  • elle rappelle qu'entre autres débilités, selon moi, les estrades ont disparu: " le professeur n'a plus à dominer ses élèves" (sic).
  • j'aime sa confession de misophonie: elle déteste le bruit des stylos quatre couleurs (lu alors que j'entendais justement à la radio que c'est un "best seller" de la rentrée 2023!)
  • j'adore qu'elle ne demande pas ce que font les parents pour ne pas être influencée...d'ailleurs, elle dit avoir souvent été surpris (quand elle le faisait encore). Mais au lieu d'une fiche, elle leur demande "Qu'avez vous appris cet été?"...page 49 est alors pleine de court-métrages potentiels quand elle lit les récits et secrets de ces enfants et de leur été (des baisers, des décès, nager, égorger, aimer sa cousine etc. )
  • si page 49 est pleine de pitch de courts-métrages, page 76 est la description déchirante d'un quasi dessin de Sempé disparu cette année: elle observe d'en haut, une de ses élèves toute seule dans la cour sous un arbre...une passionnée de caligraphie ou conjugaisons et j'ai vu un dessin du Petit Nicolas.
  • les profs débutants devraient le lire car le récit est parsemé de recettes, conseils et pratiques de prof plus aguerrie. Par exemple, j'aime beaucoup son exercice dans le gymnase où elle réussit à leur faire faire société quasiment comme dans le film Society...le film où tous les corps s'amalgament. (page 136/137...ça les forcent à se toucher en tout bien tout honneur etc. comme des cours de danses tant répandus dans les écoles en Amérique du Sud alors que j'en ai pas eu un seul de tout mon parcours éducatif...mais j'ai mangé du foot ou rugby comme jamais!)
___j'ai éclaté de rire à un des euphémisme et périphrase d'un dentiste qui aurait pu être dans sa classe: (auscultant ses dents, il vérifie ensuite son ordinateur et conclue sans ambage) "Eh oui, Madame. Vous commencez à vous éloigner de votre date de naissance, ça explique". ...ça m'a rappelé ma mère, dépitée, revenant de l'ophtalmo qui lui avait dit sans précaution et tact un truc du genre, qu'elle rentrait dans la période où elle aura sans doute "bientôt besoin de lunettes"...
___Et à ceux qui avaient des doutes sur les observations et opinions de cette professeur que "Ce sont des enfants blessés mais pas blasés..." (page 80), un beau Solal vient les émouvoir une dernière fois quasi avant la fin page 203 au sujet des idées de suicide d'Hamlet: "Tu peux (il peut) pas dire ça. Tu vis, là. C'est beau, la vie"

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le 5 sept. 2023

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