Sept ans après « Dune Messiah », Frank Herbert publie un troisième volet de sa saga « Dune » concluant ainsi une trilogie dense, cohérente et passionnante. Explorant encore un peu plus l’univers, il reste fidèle à ses thématiques clés, qu’il approfondit soigneusement de tome en tome.
Le récit, toujours situé sur Arrakis, se déroule neuf ans après les derniers événements de « Dune Messiah », qui offrait une fin plus qu’ouverte. Nombres d’interrogations restent en suspend, alors que l’empereur Paul Atreides disparaissait, laissant le trône vacant. Cette opportunité permet à Frank Herbert de poursuivre sur la problématique de la succession, évoquée en surface dans « Dune ».
En effet, la succession du pouvoir occupe la place principale de toute la structure narrative, puisque ce qui se déroule dans ce troisième tome y est essentiellement lié de près ou de loin. La mère de Paul, Jessica, sa sœur Alia, et ses jumeaux Ghanima et Leto II, se disputent le trône et donc l’emprise sur l’Imperium. Cependant, ce ne sont pas les seules, à mesure que les Fremen, témoin de la disparition progressive de leur mode de vie, ne verraient pas d’objection à récupérer leur planète.
L’autre thème prépondérant demeure l’écologie, qui prend ici une nouvelle orientation, à mesure que la terraformation d’Arrakis progresse à grands pas. Le territoire des Fremen se réduit et le climat s’adoucit, au point qu’ils peuvent se passer de leurs stillsuits, cette combinaison vitale pour survivre sur la planète. La société sort de terre, les villes remplacent les sietch (les grottes des Fremen) et les Atreides s’imposent comme l’élite de Dune.
Exit donc les antagonistes extérieurs, c’est désormais une histoire de famille, qui voit le clan Atreides se déchirer. Par l’entremise de l’épice et de la secte des Bene Gesserit, les Atreides sont devenus plus que clairvoyants, faisant de chaque génération une exception en proie aux pires velléités autoritaires, sur des humains perçus comme de plus en plus inférieur.
Si les réflexions sur la déité, présente depuis « Dune » et le rôle de messie de Paul, ne s’avèrent pas vraiment exploitées au maximum (il faut attendre le quatrième tome pour cela), Frank Herbert pose tout de même les cartes du château Atreides, par une omniprésence de l’ésotérisme, qui semble servir de carburant à la plupart de ses personnages.
Si le livre peine à démarrer (se retrouver encore en présence de tous les Atreides est redondant), petit à petit les intentions d’Herbet se précisent et l’ensemble devient haletant, jusqu’au dernier acte spectaculaire des plus inattendus. Puisque s’il y a bien une chose formidable dans les écrits de l’auteur, c’est qu’il amène sans cesse son lectorat dans des directions insoupçonnées. Il exploite ainsi à la perfection le réservoir de l’imaginaire illimité qu’offre la Fantasy.
Car, une fois de plus, la saga Dune se détache de sa nature initiale de Science-Fiction et n’a plus grand-chose à voir avec le genre. Si « Dune » apparaissait encore comme un hybride, ici c’est clairement de la Fantasy, avec tout ce qui en compose l’essence. Une orientation assumée, et originale, qui se permet le crédit de demeurer crédible, malgré la densité d’éléments fantastiques que comporte l’ouvrage.
Insufflant une dynamique mystérieuse, le récit œuvre entre intrigues de cours, manipulations, complots et quête de sois. Pendant que les Atreides, centrés sur eux même se chamaillent pour un trône, un énigmatique personnage apparaît dans la rumeur. Un vieil aveugle mystique, qui remet en question tout le dogme élaboré par les Bene gesserit et le Messie Paul pour s’emparer du pouvoir. Il prêche dans le désert et met en péril toute la pseudostabilité établie sur Arrakis et l’Imperium, en instiguant la pire alternative d’une idéologie imposée : la défection.
En multipliant les personnages principaux et les intrigues, Frank Herbert s’éloigne définitivement du monomythe, pour ne plus y revenir. C’est à un reflet de notre histoire que se réfère « Children of Dune » en racontant un récit universel, qui évoque toutes les civilisations hiérarchisées, depuis qu’il en existent.
Malheureusement, le livre souffre de longueur et d’une complexitude parfois inutile. L’intrigue peine de temps à autre à avancer ou simplement à faire sens. Ce reproche, non-présent pour les précédents tomes, peut s’expliquer par le fait que cette conclusion (en 1976 Dune devient une trilogie) cherche à clore de trop nombreuses thématiques présentes depuis les deux premiers volets.
C’est souvent un sentiment brouillon qui se fait ressentir dans le premier tiers de la narration, avant que l’histoire ne prenne fasse corps avec le propos. Mais si l’auteur semble parfois se perdre dans des réflexions un peu vides (car déjà exploitées précédemment), lorsque le récit se redresse et que les enjeux deviennent clairs, la maestria se retrouve. Il apporte alors une conclusion en apothéose, qui justifie tant bien que mal les errements des premiers chapitres.
« Children of Dune », conclue ainsi une trilogie fascinante, qui permet de se questionner sur notre temps et sur l’abus des pouvoirs de toute sorte. Sans qualifier Herbert d’anarchiste (il demeure un produit de son époque), il met quand même un gros taquet aux « autorités » centrales et hiérarchisées. Ces gouvernements, tombés aux mains de quelques clampins aveuglés par leurs intérêts personnels, incapables de discerner les besoins du peuple. La hiérarchie demeure la cible principale de cette saga, qui recouvre admirablement les errements historiques de l’impérialisme occidental. Le tout, sans oublier de proposer un conte futuriste épique, dans un écho à notre époque.
Notons tout de même au passage que Frank Herbert est mort voilà 36 ans et que cette œuvre date d’il y a 45 ans. Visionnaire ou esprit logique ? Faites vos jeux.
-Stork._