Chapoutot est un gars sérieux. Avec ses petites lunettes, sa légère bedaine, son crane dégarni et son costume-chemise, il ne se présente pas sous le look d'un écoterroriste ou encore d'un islamo-gauchiste. Disons qu'il a l'air et la posture de quelqu'un qui adhère aux "valeurs de la république". C'est un historien réputé, notamment pour ses travaux sur les nazis, avec déjà pas mal de bouquins à son actif, tels que "Agir et penser en nazi" ou encore "Libre d'obéir".
Les irresponsables est une chronique politique des cinq dernières années (1928-1932) de la république de Weimar, le régime et la constitution mise en place par l'Allemagne après la première guerre mondiale. Pour la faire simple, nous avons un gouvernement centriste (le Zentrum) de 1928 à 1931, gouvernement qui met en place une politique économique austéritaire et favorable aux plus fortunés (ce qu'on appellerait aujourd'hui une politique de l'offre), en vue de redresser les finances nationales (largement plombées par le traité de Versailles). Ce gouvernement ne dispose pas d'une majorité parlementaire, mais utilise une ficelle de la constitution (l'Article 48.2) pour gouverner par décrets. Il n'est pas censuré car les sociaux-démocrates s'abstiennent de voter la censure, en invoquant la stabilité. En 1932, le président Hindenburg (vieux maréchal prussien) est réélu, battant de peu son concurrent du second tour, un certain Adolf Hitler. Hidenburg révoque alors son premier ministre (chancelier), nomme alors un certain Von Pappen et dissout l'assemblée. Une nouvelle élection législative intervient en juillet au cours de laquelle le camp de Von Pappen (la droite classique, dirons-nous) sort largement minoritaire, alors que les nazis font un carton. Néanmoins, Von Pappen s'acharne à rester en poste, convainc Hindenburg de dissoudre à nouveau (en intriguant cette fois pour ne pas fixer de date pour de nouvelles élections législatives), mais est finalement censuré par le parlement (92,5% des suffrages pour la censure). De nouvelles élections législatives ont finalement lieu en novembre 1932, qui ne modifient pas considérablement la configuration de l'assemblée, même si les nazis reculent un peu. De guerre lasse, et à l'issue d'un intense lobbying de leur part auprès des cercles patronaux, les nazis sont finalement appelés au pouvoir et Hitler nommé chancelier, d'un gouvernement que Von Pappen espère pouvoir contrôler de son poste de vice-chancelier. La suite de l'histoire, à partir de 1933, est mieux connue.
Mais ce qui précède est souvent schématisé par l'idée que les nazis seraient arrivés au pouvoir démocratiquement. En fait, ils y sont parvenus avec l'aide de la droite, qui n'avait plus la légitimité suffisante pour conserver les commandes, mais qui voulait plus que tout éviter que la gauche puisse en disposer. Et même s'il n'en est question que lors de l'épilogue, le parallèle d'avec la situation politique de la France est absolument évident, d'autant que nous avons également en Allemagne à cette époque un magnat de la presse d'extrême-droite et un régime qui se présidentialise de plus en plus au cours des dernières années de la république de Weimar. Chapoutot se garde toutefois bien de conclure sur une répétition mécanique de l'histoire et nous ménage donc une possible sortie. Même si les conditions et les processus politiques présentent de fortes similarités, cela d'autant plus que la constitution de la république de Weimar a largement inspiré celle de la cinquième république française.
Voilà, c'est touffu, assez ardu à lire car très documenté et que les acteurs politiques de l'époque ne sont guère connus (en dehors des leaders nazis). Mais j'ai trouvé ça assez salutaire à lire. Un peu comme une sonnette d'alarme qui devrait résonner aux oreilles de chacun.