Inachevé
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Le roman "Les lapins ne meurent pas" de Savatie Baştovoi aurait sans doute gagné à être plus concis. Les passages consacrés à l’enfance de Sasha, jeune garçon grandissant dans la Moldavie soviétique des années 1980, ont une certaine justesse : l’univers scolaire, les brimades, la pesanteur de l’autorité, tout cela est restitué avec un regard qui oscille entre tendresse et cruauté. Certaines scènes – notamment celles où l’enfant se réfugie dans la forêt – touchent à une forme de grâce mélancolique et me semblent correspondre à la réalité de ce que j'ai pu observer lors de mon voyage en Moldavie, à savoir l'attachement des Moldaves à la nature, sorte de refuge contre un modernité souvent perçue comme oppressante.
L’auteur prête à son héros des réflexions qui se veulent naïves et infantiles, mais qui sonnent parfois comme un artifice un peu appuyé. Il n’empêche que dans l’ensemble, Baştovoi parvient à faire tenir debout le récit d’une enfance sous emprise, où les affects, les humiliations, les rêveries, s’imbriquent dans un monde saturé de symboles idéologiques. La figure de Vladimir Ilitch Lénine, omniprésente, pèse sur les esprits comme une autorité quasi mystique, et l’on ressent pleinement ce que cette dévotion forcée pouvait avoir de dérangeant pour les jeunes esprits sommés d’imiter un surhomme de marbre à qui l'ont prêtait toutes les qualités.
En sous-texte, on devine le regard profondément désabusé d’un auteur qui démonte les ressorts d’un système prétendument égalitaire, mais qui exclut, ridiculise, détruit ceux qui ne s’y conforment pas : le jeune Sasha, régulièrement humilié pour ses origines paysannes, ou ce fonctionnaire accusé de détournement de fonds et livré à la vindicte collective. L’école soviétique, avec ses institutrices revêches et ses défilés quasi-militaires, devient alors un théâtre d’aliénation plus que d’apprentissage (et encore moins d'épanouissement). Acquérir le foulard de pionnier devient une fin en soi, jusqu'à la fétichisation de ce bout même de tissu rouge, porteur de toutes les valeurs affichées du régime et prétexte à des cérémonies d'humiliation pour tous ceux qui ne s'en montreraient pas dignes.
Mais à mesure que le roman avance, il semble s’enliser dans une mécanique répétitive. Les mêmes scènes reviennent en boucle : les remontrances de l’institutrice, les parades patriotiques, les mêmes dilemmes moraux du petit Sasha, jusqu’à provoquer une certaine lassitude. Le récit finit par tourner à vide, comme si l’auteur lui-même hésitait à faire évoluer son histoire ou ses personnages. Ce statisme finit par diluer l’impact émotionnel du roman et laisse le lecteur sur sa faim, malgré le soulagement d'en voir le bout.
Quant aux chapitres consacrés aux dialogues absurdes entre Lénine et un garde forestier, je dois avouer qu'ils m’ont laissé pour le moins perplexe. L’intention probable – illustrer l’intériorisation délirante de la propagande – est compréhensible, mais ces scènes m’ont paru à la fois lourdes et hermétiques. Les élucubrations à propos des lapins m’ont laissé dans un flou symbolique dont je peine encore à démêler les fils, à tel point que le titre du roman demeure pour moi toujours un mystère.
En somme, "Les lapins ne meurent pas" est un roman qui capte avec acuité certaines facettes d’une enfance soviétique, tiraillée entre innocence et endoctrinement. Mais il s’abîme dans la répétition et l’allégorie trop appuyée, peinant à dépasser son matériau initial pour en faire une œuvre véritablement marquante. Un livre qu'on peut décrire pour sincère, mais au final inégal. A noter que son auteur est aujourd'hui pope et théologien orthodoxe, ce qui peut expliquer à la fois la critique virulente du très athée régime soviétique et la volonté d'illustrer la quête d'absolu du jeune protagoniste (qui se tourne vers Lénine, alors qu'il devrait s'en remettre à Dieu ?). En revanche, cela n'éclaire toujours pas ces histoire de lapins !
Créée
le 27 mai 2025
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