On retrouve, dans cette « Lettre au peuple » et dans les autres opuscules qui l’accompagnent dans mon édition (1), la plupart des notions incontournables de la pensée de la fin du XVIIIe siècle : nature, sentiment, raison, lumières… Peut-être un spécialiste de la période y décèlera-t-il quelque chose comme une structure, mais de mon côté je n’ai pas pu trouver de véritable ligne directrice à cette prose invertébrée.

Il faut admettre qu’Olympe n’est pas aidée : les quatre textes qui constituent ce volume sont à peine contextualisés, pas pauvres en coquilles et au final ressemblent à ces bassines à 3 € qu’on trouve sur les marchés, avec trois nectarines, un artichaut et deux navets – ça se mange, mais impossible de cuisiner un plat correct avec ça. L’éditeur anonyme reconnaît que les idées exposées « présentent parfois un manque de réalisme, voire quelques contradictions » (p. 11) ; on peut être moins indulgent et trouver qu’il y a là un incroyable foutoir.

Pas aidée non plus, la citoyenne Gouges, par toute la phraséologie révolutionnaire ? C’est possible. On a écrit et lu beaucoup de discours à la fin du XVIIIe siècle, et ce n’est pas forcément ce qu’on a écrit et lu de mieux, mais enfin quand l’autrice écrit que « quand le sentiment est pur, il n’a pas besoin de ton emphatique » (p. 33), elle n’est pas obligée de poursuivre par une tartine précisément des plus emphatiques, « Ô Français ! Véritables Français, connaissez mon âme toute entière, ce n’est point par ambition que j’écris cette épître », etc. Et là, difficile de mettre ceci sur le compte du style de l’époque (2).

D’ailleurs, un lecteur très charitable aurait pu lire de l’ironie dans ce passage ; c’était une de mes hypothèses, elle ne se vérifie pas. J’ai bien peur qu’aucune des quelque cent pages qui constituent ce volume ne comporte la moindre ironie. D’une manière générale, on n’y trouve aucune trace d’humour, de rire, de plaisanterie, de comique, de fantaisie – bref, du nom que vous voudrez donner au contraire de l’esprit de sérieux.


De fait, l’autrice est sérieuse, car elle veut montrer qu’elle « pense en bonne citoyenne » (p. 19). Et pour elle, une bonne citoyenne pense que « Le roi est comme un père, dont les affaires sont dérangées ; il est donc de l’honneur de ses enfants et de leur amour, ainsi que de leur respect, de voler volontairement au secours de ce père malheureux » (p. 25) et qu’il ne faut pas éduquer les artisans ou les coiffeurs « parce que ces hommes deviendraient trop dangereux pour la société et pour la patrie » (p. 72) : « si cela continue à l’avenir, on ne trouvera point d’ouvriers » (p. 91).

Olympe de Gouges avait le droit de défendre ses privilèges de classe : si on supprimait des bibliothèques toutes les œuvres consacrées à légitimer la domination sociale exercée par leurs auteurs, il ne resterait pas grand-chose à lire. Mais si au moins elle avait pu éviter d’écrire quelque chose comme : « J’étendrai mes réflexions d’après mes simples connaissances, et la nature, de qui je tiens tout, me guidera dans mon entreprise » (p. 59). Ce n’est ni la première, ni la dernière tentative de naturalisation du pouvoir, mais c’en est une ; et on est très loin de la révolutionnaire pré-féministe ou proto-féministe annoncée.

Parce qu’elle n’était pas non plus aidée de ce côté-là.


(1) Gallimard, collection « Folio sagesses ». Regroupe la « Lettre au peuple », mais aussi les « Remarques patriotiques », « Le Bonheur primitif de l’homme » et « Le Cri du sage ». Mais pour ce que j’en ai parcouru, j’ai peur que tous les écrits politiques d’Olympe de Gouges soient de la même farine.

(2) Cependant on n’enlèvera pas à l’autrice quelques trouvailles stylistiques : « L’homme est si faible quand il est malheureux, qu’il devient terrible quand il s’irrite sur ses maux » (p. 87), c’est de la plume d’une moraliste très acceptable.

Alcofribas
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le 16 juil. 2025

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