Lorenzaccio
7.3
Lorenzaccio

livre de Alfred de Musset (1834)

Dans Lorenzaccio, on a l'ironie et le ton grinçant des Caprices de Marianne, la mélancolie et la dureté d'On ne badine pas avec l'amour. Mais c'est tout autre chose encore. Musset aurait pu conserver les traits de Lorenzo de Médicis, ceux que Varchi a décrits, mais il lui a donné une bien plus grande profondeur.
Alors, oui dans un premier temps les sarcasmes de Lorenzo permettent à l'auteur de dénoncer la corruption de la société de 1830, à travers celle de la Florence de 1537: les jeunes filles rient aux éclats quand leurs parents pleurent, les mères vendent leurs filles au duc, elles leur font perdre leur pureté pour quelques ducats, critique de la société bourgeoise dictée par l'appât du gain et de l'argent du XIXème siècle; la religion se mêle à la politique, elle agit dans l'ombre, pernicieuse, presque effrayante, le cardinal portant sur ses épaules tout le poids de la corruption, encore, de l'Eglise. C'est bien sa société que Musset montre (la religion mène du bout des doigts les différents rois, Charles X, Louis-Philippe).
Mais l'auteur va plus loin encore, c'est toute l'humanité qui est pour lui condamnable: "L'Humanité souleva sa robe, et me montra, comme à un adepte digne d'elle, sa monstrueuse nudité. J'ai vu les hommes tels qu'ils sont.". Musset donne une vision désenchantée, pessimiste, de l'Homme; des hommes qui ne désirent que plaisir, richesse, et pouvoir. Les bons n'agissent pas, les républicains représentent l'inaction, ils se délectent de belles paroles, mais rien ne suit. L'amour n'existe pas, dans l'oeuvre; seuls le désir et le plaisir gouvernent les hommes. Lorenzo, au fond, ne semble aimer que le duc, et plutôt qu'un amour, on peut voir un désir de mort/d'appropriation de l'autre fascinant "Ô jour de sang! Jour de mes noces!", "C'est à moi qu'il appartient." s'écrit-il, dans une espèce de transe hallucinatoire, lorsqu'il se prépare au meurtre du duc. Lorenzo est un personnage névrosé et torturé. Le thème du double est récurrent dans la pièce, le héros est partagé entre Lorenzino, l'érudit calme amoureux des sciences, et Lorenzaccio, le débauché "sale" profondément mauvais. On peut le considérer alors comme une sorte d'alter ego de l'auteur: ses illusions, concernant l'amour, la bonté naturelle des hommes, sont perdues, il subit des crises hallucinatoires, lui aussi, il ne voit en l'humanité que la corruption, l'homme est soit corrompu, soit tenté de l'être.
Mais Lorenzo, le cynique, le misanthrope, le pessimiste, est beau. Il souffre, il est perdu, il est désespéré. Après avoir tué le duc, il se laisse faire prendre sa vie, il n'a plus rien; il devait retrouver sa pureté, mais il est seulement devenu vide, "plus creux et plus vide qu'une statue de fer-blanc". Le désespoir prend le dessus, il ne lui reste qu'une chose à faire: mourir.
On a comme une amertume, un goût âpre dans la bouche, à la fin de la pièce...
Pithecanthropus
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le 25 déc. 2013

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