Ce sixième roman de Dominique Manotti (Rivages, 2006) est précédé d’un avertissement significatif «Ceci est un roman. Tout est vérité, tout est mensonge».
Et de fait l’auteur, avec son expérience d’historienne et de militante syndicale, construit un roman noir d’une efficacité redoutable, à partir de faits réels, la décision par le gouvernement d’Alain Juppé en 1996 de privatiser (brader serait sans doute plus juste) Thomson, un groupe alors encore présent dans l’électronique grand public et de défense, et l’attribution initiale du dossier à Matra allié au coréen Daewoo, mettant ici en scène les manœuvres du rival Alcatel déterminé par tous les moyens à ne pas se laisser faire.

«Ne vous découragez pas, mon cher Pierre. Entrez dans le monde enchanté des marchands de canons. Comme disait la marquise du Deffand : il n’y a que le premier pas qui coûte.»

Le roman démarre au cœur de l’usine Daewoo dans une petite ville de Lorraine appelée Pondange, où l’emploi industriel est déjà quasiment mort. Daewoo y produit des tubes cathodiques pour téléviseurs, et rien ne semble tourner rond sur ce site : problèmes de sécurité dramatiques et multiplication des accidents du travail, abus de biens sociaux des cadres coréens, chasse sans scrupules aux subventions européennes et opérations financières suspectes, trésorerie tellement serrée que l’assurance incendie a été résiliée. Les tensions s’accumulent, jusqu'au déclenchement d’une grève à l’issue dramatique, l’incendie de l’usine et le décès suspect d’un ouvrier.

Grande admiratrice de James Ellroy, Dominique Manotti assemble un puzzle saisissant et nerveux, une fiction qui souligne les liens entre crime et argent, l’impuissance ou la corruption des services de police, l’opacité des décisions publiques, et les prises de décisions d’hommes de pouvoir uniquement guidés par leur propre ambition. Il faut aussi souligner la présence – et ce n’est pas si fréquent – d’un très beau personnage féminin, celui de Rolande l’ouvrière courageuse et respectée de tous et prête ici à saisir aussi sa chance.
MarianneL
8
Écrit par

Créée

le 20 août 2014

Critique lue 199 fois

1 j'aime

MarianneL

Écrit par

Critique lue 199 fois

1

D'autres avis sur Lorraine connection

Lorraine connection
Polarolive
8

Réaliste !

Intéressant polar romancé s'inspirant d'un fait réel. Il ma fait beaucoup pensé aux Visages écrasés de Mari Ledun. Ce qui m'ennuie chez Dominique Manotti, c'est sa narration hachée (mélange...

le 24 mai 2018

Lorraine connection
Lybertaire
7

« On aurait dit que toute l’usine était un décor, et que nous, on jouait une pièce sans la comprendr

1996, un incendie éclate dans l’usine Daewoo de Lorraine. Or, Matra, allié à Daewoo, fait concurrence à Alcatel pour racheter Thomson, fleuron de l’économie française, qui va être privatisé. [...]...

le 17 mai 2015

Du même critique

La Culture du narcissisme
MarianneL
8

Critique de La Culture du narcissisme par MarianneL

Publié initialement en 1979, cet essai passionnant de Christopher Lasch n’est pas du tout une analyse de plus de l’égocentrisme ou de l’égoïsme, mais une étude de la façon dont l’évolution de la...

le 29 déc. 2013

36 j'aime

4

La Fin de l'homme rouge
MarianneL
9

Illusions et désenchantement : L'exil intérieur des Russes après la chute de l'Union Soviétique.

«Quand Gorbatchev est arrivé au pouvoir, nous étions tous fous de joie. On vivait dans des rêves, des illusions. On vidait nos cœurs dans nos cuisines. On voulait une nouvelle Russie… Au bout de...

le 7 déc. 2013

36 j'aime

Culture de masse ou culture populaire ?
MarianneL
8

Un essai court et nécessaire d’un observateur particulièrement lucide des évolutions du capitalisme

«Aujourd’hui il ne suffit plus de transformer le monde ; avant tout il faut le préserver. Ensuite, nous pourrons le transformer, beaucoup, et même d’une façon révolutionnaire. Mais avant tout, nous...

le 24 mai 2013

34 j'aime

4