Comment parler de soi en parlant de quelqu'un d'autre

Etsuko, japonaise émigrée en Angleterre, reçoit la visite de sa fille Niki née d'un second mariage avec un anglais, peu après le suicide de sa fille ainée Keiko, issue de son premier mariage au Japon.
La narration se partage entre des scènes dans le présent et les souvenirs d'Etsuko. Ces souvenirs couvrent une période de quelques mois, à l'époque (peu après la fin de la seconde guerre mondiale) où elle vivait à Nagasaki, était enceinte (de Keiko probablement) et racontent sa brève amitié avec Sachiko. Sachiko est un peu plus âgée qu'Etsuko, a une fille, Mariko, âgée de 7 ou 8 ans, et ne rêve que de quitter le Japon pour émigrer aux USA où tous les rêves sont permis.


Il ne s'agit pas de flashbacks mais bien de souvenirs, teintés de la tragédie du présent.
Etsuko y décrit les personnes qui l'entourent, mais y parle peu d'elle même. Plusieurs fois dans ses souvenirs les personnes avec qui elle échange lui font remarquer une tristesse qu'elle nie à chaque fois. Les seuls moments où elle s'anime sont ceux qu'elle passe en compagnie de son beau-père pour qui elle a manifestement beaucoup d'affection. Son mariage en revanche paraît assez vide.


Sa nouvelle connaissance Sachiko est présentée comme une femme froide, ambivalente, peu soucieuse ni disponible pour sa fille. Etsuko ne la juge jamais explicitement ni en parole ni en pensée mais lui propose de l'aide de différentes manières et en particulier en gardant Mariko. Elle tente de nouer un lien avec cette enfant farouche qui ne se laisse pas approcher.
Vers la fin du livre alors qu'Etsuko rapporte un dialogue qu'elle a eu avec Mariko soudain le voile se déchire et c'est à Keiko, sa fille, qu'elle parle. Parce qu'il s'agit de la même conversation à quelques années d'écart lorsqu'elle même aura pris la décision de quitter le Japon en emmenant sa fille contre son gré ?


Il règne une atmosphère morbide, d'une part du fait du contexte -ville dévastée par la bombe, d'autre part des éléments récurrents reviennent dans le discours des différents personnages : une femme suicidée après avoir noyée son bébé poursuivrait Mariko, des enfants disparaitraient, dans une scène pour le moins ambiguë Etsuko s'approche de Mariko avec une corde, et dans le présent elle pense à un cadavre oscillant au bout d'une corde lorsqu'elle voit des enfants sur une balançoire.


Le dénouement est délibérément flou. Plusieurs hypothèses sont possibles. Etsuko et Sachiko sont-elles en fait la même personne (et donc Mariko et Keiko également) ? Etsuko est-elle la mystérieuse tueuse en série d'enfants ?
A titre personnel il me semble qu'Etsuko se sert de l'histoire de Sachiko pour livrer la sienne, probablement très similaire, et sonder via cet intermédiaire ses propres sentiments de culpabilité. Culpabilité qu'elle pourra finalement verbaliser.


Un livre superbe au style fluide et agréable, étonnant, mystérieux, dans lequel on trouve de nouveaux éléments à chaque relecture et qui laisse songeur longtemps après l'avoir refermé.

Edea
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le 2 oct. 2017

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Edea

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