Mage n'en est pas à un paradoxe près et révise pour glisser du spirituel au matériel.

Mage première édition s'est planté. Verdict : trop intellectuel. Son principal auteur (le regretté Stewart Wieck) écarté, cette édition révisée permettra à la licence d'obtenir le succès commercial escompté. Faut-il s'en réjouir ?
Oui et non.
Oui car la cosmologie formidable de Mage y a largement survécu, à défaut d'en ressortir tout à fait indemne. Mage l'Ascension, malgré l'univers et le système revus et corrigés, n'est pas devenu un mauvais jeu et a le mérite d'avoir permis à la licence de continuer son existence.
Non car le jeu a perdu une part de son âme en sacrifiant la liberté offerte par son système de magye d'origine et en proposant une approche plus philosophique que pratique de son univers.


L'aspect pratique et encadré ne cessera d'ailleurs plus de gagner du terrain au fil des éditions jusqu'à la version anniversaire (M20) qui réécrit l'histoire et semble conçue comme une ode à la gloire de Phil Brucato (dont je reconnais par ailleurs qu'il a souvent fait du bon boulot chez le Loup Blanc) qui a sauvé le jeu du désastre provoqué par son vilain papa Stewart Wieck.
Indiscutablement Mage n'était pas un jeu très pragmatique et demandait beaucoup de travail d'assimilation, au MJ d'abord et à ses joueurs ensuite.
Au MJ pour assimiler la cosmologie très générale et ouverte du jeu, en choisir les implications pratiques (le background permet une large variété d'interprétations complémentaires ou concurrentes sur la nature et les motivation de la Technocratie ou des Traditions, du paradigme consensuel et de la magye, etc), et la régurgiter aux joueurs.
A ces derniers ensuite de s'inscrire dans l'univers et de prendre possession du système de jeu, la magye étant libre et laissée à leur imagination (ce qui suppose de bien comprendre, avec l'aide bienveillante du conteur, la manière dont elle opère dans l'univers de jeu et notamment la distinction entre magye vulgaire et coïncidentale). Il en résultait un système léger et créatif que les versions ultérieures n'auront de cesse de complexifier et d'encadrer pour proposer un genre de recueil de sortilèges de plus en plus prépondérant. Quel dommage !


En simplifiant à l'extrême on dira que dans la cosmologie de Mage les croyances partagées façonnent la réalité du monde dans lequel on vit (c'est ce qu'on appelle le paradigme consensuel). Le paradigme contemporain (orchestré et verrouillé, consciemment ou non, par la Technocratie) repose sur la prépondérance de la Raison et de l'explication scientifique. Il nie la magie, le surnaturel et dans une large mesure le spirituel. Les joueurs incarnent des mages en' guerre' contre cette vision étriquée et manipulée du monde. En devant composer avec un paradoxe : le paradigme consensuel se défend violemment contre les agressions (grosso modo il cherche à éliminer ce qui contredit la croyance commune, genre un mage qui invoque une boule de feu, et plus encore en public) et s'il est possible de travestir la magye sous une apparence de coïncidence pratiquer celle-ci sans choquer le paradigme consensuel ne saurait le remettre en cause et provoquer le changement espéré.


Evidemment les interprétations sont nombreuses et la cosmologie du jeu, qui supporte très bien d'être chahutée en tous sens, une source illimitée de réflexion. La seconde édition préserve ça. Mais la première l'encourage ! (et vaudrait selon moi un bon 9, car elle n'est pas sans défaut et notamment l'échelle sur 5 propre au Monde des Ténèbres manque singulièrement de nuance pour décrire les sphères).
Et dans tous les cas mieux vaut un Mage l'Ascension, quelle que soit l'édition, que l'horrible Mage The Awakening du second World of Darkness, qui est aussi raté que le premier était réussi (quel que soit le jeu considéré d'ailleurs). Le système est un désastre et les jeux ont perdu toute modernité dans l'incrément. J'écris ça en me basant sur l'esprit du livre de base car je ne doute évidemment pas un seul instant qu'on puisse faire des parties formidables quel que soit le jeu (et que toutes les tables ne recherchent pas la même chose), mais certains me semblent plus inspirant que d'autres à cet égard ;-)

bunnypookah
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Les meilleurs jeux de rôle papier

Créée

le 3 mars 2021

Critique lue 272 fois

bunnypookah

Écrit par

Critique lue 272 fois

D'autres avis sur Mage, l'Ascension

Mage, l'Ascension
bunnypookah
7

Mage n'en est pas à un paradoxe près et révise pour glisser du spirituel au matériel.

Mage première édition s'est planté. Verdict : trop intellectuel. Son principal auteur (le regretté Stewart Wieck) écarté, cette édition révisée permettra à la licence d'obtenir le succès commercial...

le 3 mars 2021

Du même critique

Fallout 4
bunnypookah
4

Un jeu de rôle Fallout en 2015 c'est donc un FPS croisé avec Minecraft.

Bethesda a atteint un tel niveau de médiocrité avec ce Fallout 4 que même le ressort habituel de l'exploration d'un vaste monde pour y découvrir les quelques pépites qui s'y cachent - lieux...

le 16 nov. 2015

16 j'aime

3

A Plague Tale: Requiem
bunnypookah
4

La soupe réchauffée fait ressortir les saveurs désagréables.

Je ne vais pas beaucoup m'étendre sur sur ce deuxième opus et pour l'essentiel je renvoie à ma critique d'Innocence :...

le 24 oct. 2022

13 j'aime

Dordogne
bunnypookah
4

Nostalgie d'un passé rêvé

Sous la direction artistique le néant... ou presque. Dordogne est symptomatique d'un mal qui ronge le jeu vidéo français depuis (presque) toujours et indé depuis pas mal d'années : le truc narratif...

le 16 juin 2023

12 j'aime

5