Quelle meilleure lecture en ces temps de confinement que celle qui vous emporte d'un océan à l'autre vers des contrées encore inconnues. Relire Joseph Conrad ou Daniel Defoe aurait fait l'affaire, tout comme les mémoires d'Edward John Trelawney (celles d'un Gentilhomme corsaire) ou de Redmond O' Hanlon (Atlantique Nord), ou encore les planches d'Hugo Pratt ou de François Bourgeon (Les Passagers du vent). Mais mon choix s'est porté finalement sur un texte qui me faisait de l’œil depuis quelque temps, le Magellan de Stefan Zweig.
Bien m'en a pris tant l'hommage que le romancier autrichien rend au grand navigateur est exceptionnel. Le texte raconte l'épopée de Magellan mais pas uniquement dans sa partie maritime. Zweig fait commencer l'aventure dans les années de jeunesse de Magellan, alors que ce dernier n'est encore qu'un sobresalente, un petit soldat anonyme, au service de la marine portugaise. Années qui contribueront à forger le caractère d'un homme par ailleurs peu charismatique mais animé d'une volonté indestructible comme la suite le prouvera.
Nombreux sont les écueils que Magellan a su contourner pour accomplir son destin. Les premiers seront d’ordre politique. En effet, comment ce petit émigré lusitanien va-t-il réussir à s'imposer en deux temps trois mouvements comme amiral en chef de la plus ambitieuse expédition maritime financée par le royaume d'Espagne, l’ennemi juré du Portugal ? C’est le premier et pas le moindre des miracles que Zweig nous raconte : la navigation à vue du jeune Magellan dans les méandres du pouvoir. Et cette partie, peut-être la plus surprenante pour le lecteur qui s’attendrait à être directement lancé sur les flots, est passionnante.
Ensuite, les préparatifs du voyage lui-même, qui prirent une année et demie, sont racontés par Zweig avec la précision d’un notaire : tout ce que les navires peuvent embarquer est retranscrit, ainsi que la composition explosive d’un équipage hispano-lusitanien. Parallèlement, on assiste aux agissements des sbires de Manuel II, roi du Portugal, qui ne souhaite rien moins que faire capoter une aventure qui risque de mettre à mal l'hégémonie de son royaume en matière de commerce d'épices. Mais Magellan doit aussi compter sur l’adversité des jaloux de la cour d'Espagne, sidérés d'être supplantés par cet étranger sorti de nulle part et pleurnichant leur cause auprès du tout jeune monarque Charles Quint.
Au final, ce sont cinq navires, de différents tonnages, qui prennent le large le 20 septembre 1519 : le San Antonio, le Trinidad (vaisseau amiral), le Conception, le Victoria et le Santiago. Et c'est parti pour l'aventure. Un des plus grands exploits de l'humanité : le premier tour du monde et la preuve en bout de course que la terre est ronde, rien de moins ! Autant dire que le plaisir de lecture est immense car l'on sent que Zweig, ce merveilleux écrivain, s'est pris au jeu du roman d'aventure. Bien qu'astreint à coller à la réalité de l'Histoire, heureusement relatée par un chroniqueur italien du nom de Pigafetta que Magellan eut l'inspiration d'emmener avec lui, l'écrivain réussit la gageure de nous faire vivre avec la plus grande intensité qui soit un exploit dont on pensait tout savoir. Le plaisir du romancier transparait dans chacune de ses phrases, dans les portraits, souvent humoristiques, qu'il brosse des personnages et dans la rigueur de ses descriptions. On est embarqué, comme on dit quand on est pris par un bon bouquin, mais là dans les deux sens du terme : embarqué par la lecture et embarqué à bord du Trinidad !
Bonne lecture à vous...et belle aventure !
9/10 ++
N.B : le texte de Zweig est paru en poche mais la réédition chez Paulsen agrémentée de cartes et gravures d’époque ajoute à ce must littéraire un surcroit de plaisir. Un beau cadeau à offrir aux amateurs du genre.