Je m'entendais bien avec les gens avant d'être communiste

Ce livre a bouleversé plus d'une vie. La mienne entre autres, une miette à vrai dire. Ce n'est pas n'importe quel livre. Il ne pouvait ne pas exister. Il est court. Il explique d'où vient le capitalisme, qu'est-ce qui le compose, ce qui l'intéresse, ce qui fait qu'il n'est pas dans l'intérêt de ceux qui font sa richesse et surtout ce à quoi il conduit.
Mise à part l'esquive rhétorique qui est faite à la religion - comme si ça ne servait à rien de poser une attitude vis-à-vis des religieux, le Manifeste du Parti communiste demeure un classique qui prouve chaque année qu'il n'est pas obsolète, qu'il continue d'exister mais dont la conscience est toujours à établir pour ne pas subir une fois de plus l'émergence d'une nouvelle classe dominante qui viendrait remplacer celle déjà existante.


Loin de faire de la science-fiction, c'est pourtant ce qui arrive système après système. On croit aujourd'hui que les choses ont évolué, que la stratification sociale est plus complexe et le pouvoir plus flou, voire démocratique, mais la réalité est que la paupérisation de ces strates socioculturelles est en marche et qu'ainsi la lecture du Manifeste retrouve toute son utilité sans utopie aucune, sans verser dans l'humanisme et le mysticisme.


C'est un livre sur le soi-disant spectre mais c'est un livre spectral, transversal. Sa parution était inéluctable mais le fait qu'il ait été écrit dans le tumulte du XIXème, au moment des fabriques et des révolutions industrielles, a facilité son expansion.




Pour faire simple : il commence par l'existence d'une mécanique matérielle et historique dans l'histoire de l'humanité.


Ensuite : il résulte pour les classes opprimées de l'émergence d'un mouvement qui leur est propre - d'autant que le capitalisme a vocation de rassembler ces opprimés dans un même lieu. La deuxième partie est une partie qui s'affirme et qui interroge : que veut le communiste en regard de cette histoire ?


Et encore : quelle est l'histoire identitaire du communisme ? (c'est un aparté nécessaire, qui n'a pas vraiment de place dans le raisonnement, mais faut bien mettre cette partie quelque part)


Sur la troisième partie, plus précisément :


Marx n'est pas Hessel ; il n'y a aucun intérêt à s'arrêter en chemin.


La troisième partie concerne la littérature socialiste et communiste. Marx précise ce qui a fait l'identité, par un phénomène de réaction à la domination, du communiste révolutionnaire qu'il est. Il s'agit de s'identifier et d'accrocher sa pensée à une logique forgée historiquement. Moi, je trouve cela stupéfiant car cette troisième partie est la preuve que Marx n'écrit pas pour les intérêts traditionnels de sa classe (il ne subit certainement pas les mêmes outrages du capitalisme que la classe ouvrière) ; il montre qu'il n'a aucune envie d'arrêter en chemin dans sa pensée.


C'est pourquoi il précise les divers courants politiques historiques et de classes qui représentent autant d'obstacles sur le chemin de l'émancipation ouvrière. Bien que le propos soit adapté à l'époque, aujourd'hui ce propos, certes secondaire, sert d'expériences et de mémoires de classe. Car s'il y a une mémoire qui se transmet et qui se perpétue : c'est bien la mémoire de l'aristocratie puis celle de la bourgeoisie. Dans une vision marxiste, la bourgeoisie a tout le poids de son expérience. C'est cela que le troisième passage affirme. Justement, il dit : "attention ce socialisme n'est pas ouvrier ! plus que de vous-même, méfiez-vous des faux amis, vous devrez les combattre. Il n'en est pas un qui ne se revendiquera pas ouvrier parmi cette fange". C'est justement ce passage qui fera dire à Lénine en 17 face aux ouvriers : "Vous avez fait tomber le tsar. Ne vous vous y trompez pas car ce n'est que le début de la révolution ! Elisez ceux en qui vous avez confiance, de quartier en quartier, d'entreprise en entreprise. Constituez vos propres gardes. Il faut aller plus loin, historiquement et politiquement." Et il avait raison puisque le général Kornilov tentera de s'emparer du pouvoir. Sans succès, grâce à l'organisation en milices du peuple en armes. "Ils ne nous laisseront aucun répit. Méfiez-vous de ceux qui se réclament des travailleurs". Dans son expérience, Lénine n'est pas un saint. Il n'aura pas fait table rase mais, avec l'expérience de la Commune et de son échec, ce sont de formidables laboratoires pour ce qui finira par tôt ou tard venir.


En effet, si on se met à critiquer, toutes les parties tiennent un propos différent et distinct. Personnellement j'ai le sentiment d'un problème d'intensité : Marx est un politique et ne fait pas dans la dramaturgie !
Toutefois, faire une première partie qui vient faire une révélation d'entrée et qui, ensuite, vient faire l'inventaire politique qui conduit au communisme, ce n'est pas tellement de même valeur : voire la partie trois peut être zappée.


Est-ce que l'agencement est judicieux ? J'ai des doutes. La partie quatre est-elle vraiment une conclusion utile et intemporelle ? Ne pouvait-elle pas être incorporée à la partie deux ? Des doutes, des doutes et des doutes.


Pour celles et ceux qui ont survécu jusque là, vous avez un bonus : http://www.casimages.com/i/161114060025304361.jpg.html

Andy-Capet
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le 4 nov. 2012

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le 11 mars 2013

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