Je découvre l'univers de Stephen King avec ce livre, publié sous pseudonyme (Richard Bachman), suite à une discussion avec mon conjoint sur la nouvelle série TV à la mode, "Squid Game", qui reprend les mêmes codes (jeu dangereux).

Désolée , beaucoup de spoils dans cette critique mais je ne parviens pas à utiliser la fonction "spoiler" avec mon téléphone, l'application bugue trop...

La Longue Marche dans ce régime totalitaire me fait penser à la vie sur Terre et à son absurdité.

Tout d'abord, les Marcheurs débutent le "jeu" en étant jeunes et insouciants. Le héros, Garraty, envisage même que la mort qui les attend n'est peut-être qu'un canular et qu'un drapeau avec marqué "PAN !" sortira des fusils des soldats qui les surveillent de près, lorsque l'un d'eux faiblira. Mais au fur et à mesure que les kilomètres passent, ils sont confrontés à la réalité de leur aventure : la mort est là, bien présente à chaque coin de rue, et les emporte un à un. Le narrateur précise, à la fin, que les héros ont vieilli. Leurs cheveux blanchissent, ils maigrissent et n'ont plus le souffle de vie qui les traversait au début, comme lorsqu'ils pouvaient risquer l'avertissement juste pour aller peloter de jolies spectatrices.

Ensuite, leur lutte est celle de la survie uniquement. Il faut continuer de marcher, d'avancer, afin d'éviter la mort. Mais on ne peut pas l'empêcher d'arriver, on ne peut que la retarder. Elle les rattrape un à un, jusqu'au dernier survivant pourtant victorieux... (j'y reviendrai en fin de critique). Le Prix n'est jamais vraiment mis en avant, d'ailleurs, aucun des personnages n'énonce clairement ce qu'il demanderait s'il gagnait. Comme si cela ne pouvait arriver pour aucun d'entre eux.

De plus, le commandant est comparé à Dieu. C'est lui qui choisit (avec les épreuves et le hasard combinés) qui participera à la Marche et quelles sont les règles pour être disqualifié et mourir. Il est tour à tour adoré ou détesté par les Marcheurs et les spectateurs. Vers la fin du roman, il est clairement assimilé à Dieu dans l'esprit de Garraty, lorsque ce dernier voit apparaître son visage en feu d'artifice dans le ciel. Stebbins devient alors une sorte de Jésus, fils de Dieu, et envoyé à la Marche pour finalement s'y sacrifier (il se compare au lapin automate utilisé dans les courses de lévriers). Le commandant, à travers ses sbires, est omniscient : il fait exactement à quelle vitesse les Marcheurs avancent, qui doit être averti, qui doit mourir. Aucune échappatoire possible : ceux qui tentent de fuir sont abattus sans ménagement. Quand on débute la Marche, donc quand on commence à vivre, on est destiné à mourir, quoi qu'on fasse pour tenter de l'éviter. Et on marche vers cette mort...

Par ailleurs, la métaphore de la Vie comme chemin à suivre, comme route sur laquelle on avance pas à pas est une image éculée. La Longue Marche semble ainsi renvoyer à la Longue Vie, durant laquelle on se fait des amis (Mc Vries) comme des ennemis (Barkovitch), où l'on voit ceux que l'on connaît mourir peu à peu avant de s'éteindre soi-même. Plus les Marcheurs avancent, plus la mort leur apparaît comme un havre de paix. L'un d'eux, vers la toute fin du roman, décide d'ailleurs de s'arrêter puis de s'asseoir, simplement, lorsqu'il se sent vraiment épuisé. Comme celui qui déciderait de se laisser mourir après avoir bien vécu...

Enfin, aucun des Marcheurs ne parvient à expliquer pourquoi il s'est engagé là-dedans. La plupart semblent l'avoir fait sans raison, juste "comme ça". Ils insistent d'ailleurs plusieurs fois dans le récit sur l'inutilité de leur venue dans ce jeu. Il y avait pourtant une épreuve écrite avant de s'engager qui leur demandait pourquoi ils seraient de bons candidats pour cette aventure. Mais nous n'avons la rédaction que de l'un d'entre eux, Abraham, qui parle lui aussi de l'inutilité de sa vie et donc du fait qu'il ne manquera à personne s'il échoue dans cette Marche. Celle-ci se révèle donc complètement absurde : le Prix n'est pas vraiment utilisé comme une carotte que tous poursuivent avec avidité, ils tentent juste d'échapper le plus longtemps possible à la mort. L'absurdité de la Marche renvoie, selon moi, à l'absurdité de la Vie : on ne sait pas vraiment pourquoi on est là, sur Terre (l'une des grandes questions philosophique jamais résolue !), tout comme les Marcheurs ne savent pas vraiment pourquoi ils se sont engagés à marcher.

Quant à la fin, voici comment je l'interprète :
Aucun des Marcheurs victorieux des précédentes promotions n'a réellement survécu à sa victoire. L'un d'eux est même mort 8 jours après d'une hémorragie. Un autre s'est mis à pleurer dans la chemise de l'avant-dernier, au moment de sa mort. On ne sait jamais ce qu'ils ont demandé comme Prix. Peut-être n'ont-ils jamais pu souhaiter quelque chose, n'ayant plus rien à désirer après avoir fini leur route... tout comme les désirs humains deviennent futiles lorsqu'on arrive au bout de sa vie et que la mort est là.
Garraty a fini, il est le dernier en vie. Pourtant, il croit voir encore quelqu'un devant lui, une ombre. Le commandant arrive pour lui donner son Prix, lui touche l'épaule (on suppose, Garraty n'arrivant même plus à dire à qui appartient cette main se posant sur lui), mais il le repousse et continue de marcher vers cette ombre. Il semble même revenir au tout début de la marche, lorsqu'il croit que l'ombre lui demande de commencer l'aventure, que ça va être une longue marche. Puis il finit par courir vers elle, comme on court vers la mort...
En effet, mourir est bien la seule issue à cette Marche, tout comme elle l'est à la Vie. Chaque pas que l'on fait nous rapproche un peu plus de la mort. En ce sens, le vainqueur ne peut pas quitter cette marche en restant en vie. Seule la mort peut l'en libérer vraiment. Selon moi, Garraty meurt donc, lui aussi, juste après sa victoire, parce qu'il n'a pas d'autres façons de s'en sortir, parce que la vie n'est plus possible après avoir déjà tant vécu (ils n'ont marché que 5 jours au total mais semblent avoir vécu 100 ans).

CONCLUSION

J'ai été ravie de cette lecture.
La dystopie mise en place par l'auteur est particulièrement glaçante et fonctionne bien, même si on en a connaissance que par bribes, à travers le discours des personnages marcheurs. La fin ouverte, donc sujette à multiples interprétations, me semble être la seule possible au terme d'une telle aventure dans un tel univers. Comment revenir à une situation antérieure, celle d'un jeune garçon vivant avec sa mère, ayant une petite amie, comme si tout était normal, après avoir vécu ça ?
J'ai également apprécié les petites touches ici ou là indiquant la probable homosexualité de Garraty (il n'a encore jamais couché avec sa petite amie mais quand elle le lui propose afin de le dissuader d'aller marcher, il refuse... et court vers la mort / il est extrêmement proche de Mc Vries et ne dit pas non lorsque celui-ci lui fait des propositions osées / il raconte un événement lui étant arrivé enfant où il se serait mis tout nu avec un certain Jimmy, etc.). Tout le roman est ainsi fait : on ne nous apporte rien sur un plateau, le lecteur doit constamment deviner ce que l'auteur ne fait qu'effleurer. À nous de reconstruire l'univers des personnages à partir des bribes que veut bien nous en donner Stephen King.

J'ai été en revanche moins convaincue par le traitement réservé la La Foule. D'abord humanisée et séparée en plusieurs individualités (ils sont décrits physiquement ou par leur lien avec les personnages, comme la mère de Percy), elle devient un monstre informe et compact, doté d'un œil unique. Je ne sais comment interpréter ce personnage horrifique : si la Longue Marche renvoie à la Vie, alors à quoi renvoie la Foule qui les regarde ?
J'ai également moins aimé les épigraphes renvoyant aux jeux télévisés. Cette critique des limites aux jeux, qui m'apparaissait évidente en début de roman, me semble bien futile par rapport à la comparaison Marche/Vie vers la mort et, par conséquent, bien en-dessous de la force du roman.

Un excellent récit qui fut, pour ma part, très prenant, toujours d'actualité (il date pourtant de 1979 !), et qui me donne envie de découvrir d'autres œuvres de cet auteur.

jl2152672249
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le 24 oct. 2021

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