Cent jeunes hommes se sont engagés pour participer à la Longue Marche: un événement annuel dans lequel les cent participants doivent continuer à marcher jusqu’à ce qu’il n’en reste plus qu’un seul debout. Les règles sont claires: les marcheurs doivent continuer à avancer sans s’arrêter et passer sous la barre des cinq kilomètres à l'heure. Chaque fois qu’ils s’arrêtent ou descendent en dessous de la vitesse minimum, ils prennent un avertissement. Au bout de trois avertissements, ils prennent leur ticket et sont éliminés… d’une balle dans la tête.

Pour moi, Marche ou crève est un des meilleurs livres de Stephen King. Je le place facilement dans mon top dix, et même au sein de mon top trois personnel avec Ça et le cycle de la Tour sombre. À l'époque de ma découverte du roman, je l'ai lu, puis relu immédiatement, ce qui est assez rare pour être souligné. Je l'ai relu depuis deux fois.

Marche ou crève est une très bonne dystopie qui anticipe les dérives de la société du spectacle (jeux imbéciles et mortifères, foules extatiques lobotomisées) et qui joue avec les thèmes de la dépersonnalisation. King commence d’abord son récit en laissant le lecteur dans le flou et lui dévoile peu à peu les règles de ce jeu de massacre. Les spectateurs qui, au départ, pouvaient être distingués les uns des autres, se changent peu à peu en une foule indistincte dont personne ne ressort véritablement; un conglomérat d’entités sans aucune personnalité. La dépersonnalisation des membres de cette société est également incarnée par les protagonistes de la course qui remettent volontairement leur papier d’identité au début du récit afin de participer à la Longue Marche pour n’endosser qu’un simple numéro qui les représentera jusqu’au bout. À mesure de l'avancée du récit même les protagonistes finissent par ne plus savoir ni le nom, ni même le numéro de ceux qui sont tombés.

Le roman de King est aussi un récit d’apprentissage. Au départ les marcheurs sont naïfs même vis-à-vis de leurs raisons de participer à cette marche. On voit leur point de vue évoluer à mesure de leur avancée et passer d’une certaine frivolité, à une maturité acquise à la dure lorsqu’un certain nombre d’entre eux ont reçus leur ticket. Les raisons de leur présence dans la course au départ simple (écrire un livre sur l’expérience, être riches, par patriotisme…) finissent par devenir plus obscures jusqu’à arriver à la vérité : ils ne savent pas pourquoi ils y participent en dehors peut-être d'un désir de mort.

Cette longue marche peut donc aussi être une représentation d’un chemin de vie, une allégorie au sujet de l’existence humaine en général, de la maturité qui vient avec les années, et d’une sorte de prise de conscience désabusée que chacun ne fait qu’avancer vers sa propre mort. Pourtant, tout n'est pas totalement sombre, car il est possible de faire un choix sur la manière dont nous nous comporterons durant cette longue marche qui nous entraîne vers la mort semble nous dire King.

Marche ou crève est aussi un récit allégorique qui fonctionne sur de multiples niveaux. On peut y voir entre autre une référence au sacrifice de toute une génération de jeune gens pour la patrie durant la guerre du Vietnam, soulignée par la présence omniprésente des militaires et de la figure du colonel, incarnation d’un certain autoritarisme guerrier de l’Amérique.

Le livre peut être vu également comme une dénonciation de l’esprit de compétition permanente entre tous, engendré par la doctrine de l’ultralibéralisme économique. Il y a sans doute encore bon nombre de manières d’interpréter le roman de King bien entendu.

Le style de King se veut pesant, parfois répétitif, ce qui est destiné à faire ressentir au lecteur la difficulté croissante d’avancer des marcheurs. Les ellipses de plus en plus fréquentes cherchent à engendrer chez le lecteur un état de confusion qui est proche de celui des marcheurs, le faisant par cet artifice intégrer le groupe. Le lecteur est bien le cent-unième marcheur, ou du moins, c'est ce sentiment que King cherche à induire.

La fin est sujette à de nombreuses interprétations, et même si elle ne fait pas l’unanimité, je la trouve en ce qui me concerne parfaite, et même une des meilleures de King, qui a, il faut bien le dire, une certaine tendance à parfois se planter sur la conclusion de ses romans.

Pour moi, Marche ou crève est un excellent livre du maître de Bangor. C’est un livre glaçant et puissant dans ses thèmes comme dans son écriture. C’est un livre dont on continue à tourner les pages, inlassablement, comme les marcheurs continuent à avancer, et on arrive jusqu'à sa conclusion, tout comme eux, à bout de souffle.

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le 13 sept. 2023

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Samu-L

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