Philippe Vilain raconte dans ce livre son chemin vers l’écriture ; comment un mauvais élève de lycée technique devient docteur en lettres modernes et un écrivain. Il fait une description minutieuse de son parcours d’élève médiocre en lycée technique vers sa rédemption littéraire. Son exposé est l’illustration même de la sociologie de Pierre Bourdieu (la reproduction sociale, l'habitus et les principes de la distinction sociale) et aussi, mais dans une moindre mesure, celle de Raymond Boudon (celui-ci mettant en avant l’action des individus « la stratégie des acteurs » dans leur choix) ; Pierre Vilain penche davantage du côté de Bourdieu concernant l’importance de l’origine sociale comme facteur déterminant de l’inégalité des chances et de la reproduction sociale.
« Ils acceptaient leur destin comme s’il n’existait pas d’autre possibilité d’en concevoir un autre (…) que celui, probable, tout tracé d’avance, inscrit dans l’ordre des choses (…) ; comme s’ils ne se sentaient pas autorisés à envisager une vie meilleure, moins prévisible (…).
« (…) ils savaient ce qu’ils voulaient faire, persuadés de choisir librement leur métier sans imaginer que c’est le métier qui les choisissait, sans songer que leur goût de l’exercer n’avait rien de personnel, que leur désir de lui obéir était celui de leur classe sociale, sans penser que leur vie était décidée. »
Ce qui a déterminé le changement de trajectoire sociale de l’auteur c’est sa rencontre avec Annie Ernaux (sa maman intellectuelle et pas seulement…) ; on est là davantage chez Bernard Lahire soit dit en passant…
Les pages les plus ennuyeuses du livre sont les longues pages consacrées aux mérites d’Annie Ernaux*, à leurs voyages, aux célébrités rencontrées.
Quelques saillies pointent timidement et laissent entrevoir tout de même des aspects négatifs de l’écrivaine célèbre : sa cruauté pour rappeler à l’autre ses origines. Philippe Vilain laisse entendre qu’elle a eu des mots humiliants, fait des remarques désobligeantes sur son comportement et sa non-maîtrise des codes de la comédie sociale dans laquelle Annie Arnaux semble, elle, très à son aise en définitive.
« Je savais parce qu'elle me l'avait dit, qu'elle me voyait, ainsi que les bourgeois voient les gens des classes inférieures, comme un "plouc". »
Philippe Vilain laisse entendre tout en le niant qu’Annie Ernaux fait partie de ce qu’il appelle « des intellectuels ambivalents » :
(…) je me méfiais de ceux qui représentent le peuple sans y appartenir ou sans avoir avec lui un proximité (…), se disent "pour les ouvriers", "pour les pauvres et les exclus", "pour les immigrés" ou "pour les colonisés", se réapproprient ses causes et ses souffrances pour s’en faire les impérieux avocats, le soutiennent pour instrumentaliser leur carrière ou leur œuvre et soulager ainsi, à peu de frais, leur mauvaise conscience. (…) Ces intellectuels de cette sorte ne passeraient pas plus de quelques heures dans le peuple, contrée inhabitable pour eux, avec lequel ils ne partagent rien, aucune valeur, aucun goût, où ils se savent en situation d’exotisme social. »
Cependant l’auteur lui-même n’échappe pas complètement à ce mépris intellectuel lorsqu’il exprime son dédain de la littérature populaire, de la lecture divertissante (qu’il ne définit pas vraiment). Bien sûr qu’il existe une verticalité dans la littérature, parmi les auteurs et chez les écrivains mais il n’est pas méprisable de ne pas chercher autre chose qu’un bon moment lors d’une lecture ;
« Je ne pouvais pas lui dire que sa littérature était bien différente de celle que j’étudiais à l’université, que la sienne relevait du divertissement et que, si elle lui faisait passer de bons moments, si elle lui donnait à éprouver quelques émotions, elle ne lui offrirait guère davantage, elle ne l’élèverait jamais, ni ne l’instruirait, ni ne la questionnerait profondément sur l’existence (…). »
Si ça ce n'est pas du mépris...
Mais « Mauvais élève » reste un livre très agréable à lire grâce à une écriture extrêmement travaillée qui lui confère finesse et justesse.
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*Entre nous, pour moi Annie Ernaux aujourd’hui n’est plus une écrivaine (« La Place » et « Les Années » sont deux bons livres, c'est indiscutable) mais elle est devenue une idéologue. En demandant que Richard Millet ne soit plus édité ni ne puisse plus éditer les autres (!), elle s’est complètement déconsidérée et déshonorée à mes yeux. Les inquisiteurs (Le Clézio) et inquisitrices (Ernaux) qui envoient au bûcher très peu pour moi.