Médée
7.4
Médée

livre de Pierre Corneille (1635)

Héroïne cornélienne avant même que Corneille ne la représente, Médée devait passer sous sa plume ; il y a des accents de la plainte de don Diègue dans la tirade de Créon à la scène 4 de l’acte V. On trouve dans Médée du baroque (le char), du classicisme (presque tout le reste), de l’héroïsme (« Je n’ai jamais souffert qu’elle me fît la loi, | Et toujours ma fortune a dépendu de moi. », III, 3), une définition du dilemme (« Je n’exécute rien, et mon âme éperdue | Entre deux passions demeure suspendue. », V, 2) — bref, tout ce qu’on apprend en cours à propos de la tragédie et de Corneille. Ajoutons les incontournables du mythe et du texte depuis Euripide et Sénèque : « Oui, tu vois en moi seule et le fer et la flamme », etc. (I, 5), « Celui-là fait le crime à qui le crime sert. » (III, 3), « Demain je suis Médée » (IV, 5), « Adieu, parjure : apprends à connaître ta femme » (V, 6)… Avec çà et là des vers simplement beaux — à titre personnel j’adore « Je veux choir sur Corinthe avec ton char brûlant » (I, 4) et « Moi-même en les cueillant je fis pâlir la lune » (IV, 1).
Même si la machinerie tragique de Médée grince par moments (l’exposition un peu poussive et Égée en prison : Corneille le reconnaît lui-même dans l’« Examen » de 1660), la structure reste tout à fait valable. Et pour l’intrigue elle-même, on le sait depuis au moins le Ve siècle avant J-.C., c’est du solide aussi.
Mais là où la pièce de 1635 surpasse les précédentes, c’est avec les personnages : non seulement Médée reste ce monstre d’héroïsme, mais elle le devient sur tous les plans, avec une profondeur égale — mère infanticide évidemment, mais aussi amoureuse jusqu’au-boutiste et complice mafieuse trahie. Et contrairement à ce qui se produisait chez Euripide et Sénèque, les personnages secondaires montrent quelque épaisseur : Créon montre l’entêtement injuste et la trop grande confiance en soi qui font les tyrans déchus et même Égée acquiert grâce à son amour quelque chose de pathétique. Quant à Jason, dès l’exposition amant calculateur (« J’accommode ma flamme au bien de mes affaires », I, 1) que ses calculs déchirent (« Je regrette Médée, et j’adore Créuse ; | Je vois mon crime en l’une, en l’autre mon excuse », I, 2), il apparaîtra en homme lâche (son geste final le prouve) dont la crainte n’est pas injustifiée (ses délibérations n’ont rien d’absurde et ne relèvent pas toutes de la mauvaise foi), en père dont l’amour paternel est une faille (« Il aime ses enfants, ce courage inflexible : | Son faible est découvert ; par eux il est sensible », III, 4) et surtout en porteur d’ironie tragique lorsqu’il ordonne à Créuse : « Fais état que demain nous assure à jamais | Et dedans et dehors une profonde paix. » (II, 3).
Ainsi Médée trouve-t-elle un entourage à sa hauteur.

Alcofribas
8
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le 18 août 2016

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