« Moby Dick » fait partie de ces romans légendaires, dont le personnage, les thèmes et les enjeux sont passés depuis dans la culture et dont l’aura dépasse désormais de loin le texte d’origine. Tous connaissent Moby Dick, la baleine tueuse… même si le capitaine Ahab et le sort réservé au Pequod sont un peu moins célèbres.
Narré depuis le point de vue d’Ishmaël, un misanthrope qui décide de s’engager dans un baleinier de Nantucket – le havre américain, voire mondial, de la chasse à la baleine – pour découvrir les mers du monde, « Moby Dick » met en scène la traque du cachalot blanc éponyme par le capitaine Ahab. Ahab, qui a perdu sa jambe lors de sa dernière rencontre avec Moby Dick, lui voue une haine féroce, et a juré de le poursuivre jusqu’au bout du monde pour le tuer. Cette quête de vengeance un peu impie n’est pas très au goût de l’équipage, en particulier de Starbuck, son second, quaker puritain très religieux.
La première partie du roman, qui sert à planter le cadre, nous présente quelques personnages, et l’univers de la chasse à la baleine au XIXe siècle. On fait ainsi la connaissance de Queequeg, cannibale païen de son état et expert harponneur. Cette partie, narrative et intéressante, s’achève avec la description de l’équipage du Pequod et le départ du navire.
Ensuite, pendant la plus grande partie du roman, « Moby Dick » devient un guide de la chasse à la baleine format Wikipédia… Au cours de l’odyssée du Pequod, dont on a plus grand-chose à faire, Melville décrit toutes les étapes, du harponnage de la bête à l’extraction de l’huile, le spermaceti, de multiples manières, en passant par les étapes annexes (ancrage de la baleine morte au navire, arrivée des requins, etc.). Je n’ai rien contre les encyclopédies mais, l’overdose de documentation, qui est parfois franchement superflue (lorsqu’on dérive sur les dimensions du cachalot, de son crâne, et sur les représentations picturales qui en existent au XIXe siècle, ce n’est pas très passionnant) constitue un vrai frein à l’intérêt du livre. Si je veux en savoir plus sur les pratiques des baleiniers, j'ouvre Wikipédia, ce sera plus clair, plus détaillé et plus objectif...
Ce qui m’intéresse plus, ce sont les personnages et les ambiances. Et malgré un début très réussi, la suite est hélas particulièrement pauvre à ce niveau-là, les différents hôtes du Pequod étant pour la plupart réduits à de simples stéréotypes. Ahab seul bénéficie d’une caractérisation un peu plus intéressante mais c’est à peu près tout.
Là où « Moby Dick » prend tout son intérêt, c’est dans quelques rares scènes fantastiques qui parviennent à transcender un livre jusqu’alors un peu ennuyeux. La partie introductive, la rencontre avec quelques navires, et, surtout, la chasse finale, offrent l’occasion à Melville d’immerger totalement le lecteur dans l’ambiance et sont parfaitement réussies. Hélas, elles sont bien trop rares.
Le texte original est assez complexe et exige une bonne connaissance du vocabulaire marin ; outre les différents termes liés à la navigation et les parties du bateau, l’ouvrage permet également d’apprendre un certain nombre de noms de baleine en anglais. Pour tout vous avouer, mon français pèche un peu et il y a pas mal de mots lus dans « Moby Dick » dont je ne connais même pas l’équivalent dans ma langue maternelle… Les rares dialogues sont écrits dans un style très théâtral, ampoulé, mais qui donnent du charisme aux personnages qui les déclament (Ahab, le pasteur, Starbuck). Les descriptions sont assez vivantes, la dernière partie consacrée à la traque étant particulièrement claire, de manière assez surprenante.
Au final, « Moby Dick », dont tout le monde connaît l’histoire, surprend par le volume de sa partie documentaire, qui est souvent très dispensable – même si jamais complètement désagréable. Celle-ci doit bien constituer les trois quarts du roman (un pavé). Résumé en quelques mots, c’est un livre souvent lent, parfois fascinant, rarement intriguant. C’est néanmoins un texte intéressant à lire.