Je suis fascinée depuis quelques années par Annie Le Brun, qui nous a quittés l'an passé. Sûrement car le personnage est difficile à cerner. Il y a évidemment son aspect "bandeuse réac de bourgeois" qui s'impose à la vue, mais qui, dès lors que l'on dépoussière un peu l'œuvre, laisse entrevoir une pensée illibérale mais libérée, que d'aucuns qualifient volontiers d'anar ou d'anticapitaliste.


Ce qui m'a amenée vers Mme Le Brun, c'est sans doute nos marottes en commun. Comme elle, j'aime Sade, Bataille, Leiris et toute la clique des surréalistes, qu'elle a cotoyé de manière crépusculaire, jusqu'à en devenir la dernière comète. C'est avec plaisir que j'ai pu découvrir le versant essayé de sa carrière, qui parvient à merveille à saisir l'érotique et la mystique de Lequeu, Carrington et tant d'autres. Le style de Le Brun est imagé, incisif, et surtout envahissant. Loin d'être une simple exégète, on sent dans chacun de ses textes cette envie de s'accaparer et de dégouliner sur les artistes qu'elle commente. Quel plaisir donc de lire un ouvrage purement et formellement poétique de sa part.

Au programme, une petite centaine de textes courts, tous d'une grande richesse. Comme c'est souvent le cas avec les surréalistes, certains mots semblent hallucinés, aberrants et se lisent comme une langue inconnue. D'autres, par contre, sont d'une clarté électrifiante. Il y a dans Ombre pour ombre des aphorismes criants de vérité, qui remontent euphoriquement et violemment l'échine. Le Brun utilise la collection de mots et d'images qu'elle a monté toute sa vie comme une fructeuse boîte à outils.


Il y a des choses que je n'aime pas trop chez Le Brun ; je trouve sa critique du féminisme (surtout Beauvoir et Duras) et du post-modernisme un peu faible, et témoin d'un manque de curiosité auquel elle ne nous habitue pas. Néanmoins, on ne peut pas lui reprocher de ne pas nous inviter à la contre-soirée. Je n'ai que rarement vu un érotisme comme celui qu'elle prône, qui n'est pas un érotisme "de femme", ou "pour femme", mais une libido hermaphrodite dépourvue d'essence, coïncidentellement portée par un corps féminin. Elle a probablement trouvé en ça la seule façon de véritablement transcender Sade.


Les mots font l'amour, titrait Le Brun dans son recueil de citations. Alors voici un petit florilège 'en vrac' d'amourettes :


nous n’avons rien à perdre mais tout à égarer

* * *

mes cernes n'ont pas fini de s'agrandir : c'est avec les yeux que je dévore le noir du monde

* * *

l'oeil

puissant et nu sur la berge mouvante

des images du coprs

aveuglante transparence de la nudité

qui REGARDE

ce qui est sur le point d'être dénudé.

Sytarie
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le 18 sept. 2025

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