Oncle Vania
7.8
Oncle Vania

livre de Anton Tchékhov (1897)

(Cette critique se réfère à l'édition GF qui comprend Oncle Vania et Les trois soeurs)

Oncle Vania : La pièce raconte le séjour d'été du professeur Sérébriakov et de sa jeune épouse Eléna, chez son beau-frère Ivan Voïnitski (l'oncle Vania qui donne son nom à la pièce).

On a parlé « d'anti-théâtre » : intrigues courtes voire écourtées, importance des temps morts, des silences, des pauses, dialogues où les personnages peinent parfois à communiquer, enlisement des destins, attente continuellement repoussée et jamais satisfaite d'un épisode réconciliateur, résolutif, d'une fin qui apporterait une solution, Tchekhov réussit dans son dernier théâtre à mettre en scène ce qu'il y a de moins théâtral ou spectaculaire dans nos vies : non plus les grands gestes (suicide, exil, meurtre) mais les actions quotidiennes, non plus les grands mots (déclarations d'amour, méditations métaphysiques) mais les mots de tous les jours, non plus les grandes vies en somme (les grands destins, même brisés, des héros), mais celles, parfois décevantes, cruelles et lentes, que nous vivons.

En quoi il représente peut-être l'aboutissement d'un genre tout à fait particulier, et en vient même, par son seul nom, à le qualifier : combien d'œuvres, en effet, qui par leur seule tonalité, par leur seule lumière, en sont venues, au 20eme siècle, à être rapprochées de Tchekhov ? Les éléments sont minces, mais difficiles à obtenir : un souci réaliste, presque scientifique, de rendre compte sans explication ni discours des choses ; une forme de pessimisme mêlée à beaucoup de compassion et d'humour ; des intrigues plutôt simples et banales, où les personnages se disent des choses simples et banales ; et une lumière, si caractéristique de Tchekhov, calme, triste et sereine.
Tels sont par exemple les éléments qui composent en partie le cinéma d'après guerre d'Ozu, un cinéma « à voix basse », comme lui-même le qualifiait (et il serait fort possible de qualifier le théâtre de Tchekhov de théâtre « à voix basse »). Il n'est dès lors pas très étonnant qu'un très beau livre consacré au réalisateur s'intitule « Ozu ou l'anti-cinéma » (Kiju Yoshida chez Actes Sud), tant il est vrai qu'Ozu, à l'instar de l'écrivain russe dans ces deux pièces superbes et inoubliables que sont Oncle Vania et Les trois soeurs, met lui en image ce qui résiste non au théâtre mais au cinéma.

Tchekhov crée ainsi dans ces deux pièces des chef-d'œuvres éternels de tendresse sur la vie humaine, et invente par sa voix inimitable cette sorte de doux pessimisme - serein, souriant mais grave et nostalgique - qu'on retrouve également dans ses nouvelles.
Nody
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le 15 août 2011

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