L'espoir d'une vie...
Ourika ou le désir grandissant d'une ascension sociale. Ce roman post-révolutionnaire nous emporte au cœur d'éternelles pensées articulées. D'une force intellectuelle rayonnante à un destin brisé,...
Par
le 20 mai 2016
1 j'aime
"Ourika" mérite d'être salué pour le simple fait qu'en 1823, au moment de sa rédaction, Madame de Duras a eu le courage de mettre en scène une protagoniste noire. Non seulement elle le fait, mais elle dépeint cette jeune femme en lui prêtant la même intelligence et les mêmes sentiments qu'elle l'aurait fait pour un personnage blanc. Fait exceptionnel pour une époque marquée par le rétablissement de l'esclavage. En cela, elle est clairement en avance de plus d'un siècle sur son temps.
La différence de couleur de peau et ce qu'elle implique à cette époque constituent d'ailleurs le cœur du récit. Madame de Duras, avec une acuité remarquable, dépeint avant l'heure le désespoir naissant de la ségrégation raciale. Avant Franz Fanon, Bell Hooks et d'autres théoricien.ne.s de l'antiracisme, elle dénonce, avec les maladresses sémantiques et d'appréciation propres à son époque et à son milieu, les préjugés raciaux et l'absurdité des distinctions arbitraires qui divisent des humains pourtant égaux en intelligence et en sensibilité.
L'histoire, relativement courte, reprend les codes du romantisme et du roman historique. Sans sa caractéristique principale qui en fait tout l'intérêt, il s'agirait d'une simple histoire d'amour impossible dans laquelle l'héroïne s'épancherait sur son mal-être à travers de longues diatribes tragiques. Mais voilà, cette spécificité fait tout l'intérêt de ce court roman précurseur et renforce le caractère tragique de cette histoire.
Car au-delà de cet amour impossible et interdit, Ourika prend conscience de son déracinement et du fait qu'elle ne pourra jamais se projeter dans une relation sentimentale à la hauteur de ses attentes. À la fois transfuge de classe et transfuge de "race", elle ne peut plus s'identifier aux esclaves noires dont elle ne partage que la couleur de peau, ni s'assimiler au milieu aristocrate européen dans lequel elle a grandi et qui, à quelques rares exceptions, ne l'acceptera jamais pleinement comme une égale précisément pour cette même raison.
Ourika erre ainsi entre deux mondes, en arrive à détester ses origines et maudire le destin, un peu à l'image des métisses et autres mulâtres condamnés à être Noirs chez les Blancs, et Blancs chez les Noirs. Cette thématique, intarissable des écrits d'Édouard Glissant à ceux de Zadie Smith, en passant par Maryse Condé ou plus récemment "Jacaranda" de Gaël Faye, trouve ici l'une de ses premières expressions littéraires. Cette tragique destinée est résumée par Ourika elle-même : "Je n'appartenais plus à personne ; j'étais étrangère à la race humaine tout entière !"
"Ourika" frappe aisni par son caractère révolutionnaire. En 1823, Madame de Duras ose donner une voix authentique et respectueuse à un personnage noir, là où ses contemporains comme Victor Hugo dépeignent encore les femmes africaines en "créatures sauvages" et "monstrueuses". Cette audace littéraire révèle chez la femme de lettres une compréhension intuitive des mécanismes destructeurs du racisme. Duras saisit avec une justesse troublante comment les préjugés de couleur s'infiltrent dans la psyché de leurs victimes, comment Ourika finit par intérioriser le regard dégradant que la société porte sur sa personne. Ces observations psychologiques, d'une modernité certaine, ne trouveront leur théorisation qu'un siècle et demi plus tard sous la plume de penseurs comme Fanon.
Créée
le 21 juil. 2025
Critique lue 17 fois
1 j'aime
2 commentaires
Ourika ou le désir grandissant d'une ascension sociale. Ce roman post-révolutionnaire nous emporte au cœur d'éternelles pensées articulées. D'une force intellectuelle rayonnante à un destin brisé,...
Par
le 20 mai 2016
1 j'aime
Roman (ou nouvelle) magnifique de Madame de Duras, Ourika, un des premiers best sellers de l'histoire, raconte l'histoire d'une pitié dangereuse. Une bienfaitrice va tragiquement changer son...
Par
le 24 sept. 2012
1 j'aime
Brüno et Fabien Nury sont deux artistes de bande-dessinée que j'apprécie beaucoup, notamment pour les excellents Tyler Cross. Je me suis donc facilement laissé tenter par L'homme qui tua Chris Kyle...
le 14 déc. 2023
21 j'aime
Dans « Peau d’homme », nous suivons l’histoire de Bianca, jeune bourgeoise promise à Giovanni, fils d’un riche marchand, à l’heure de la renaissance italienne. Désireuse d’en apprendre plus...
le 5 sept. 2020
10 j'aime
Le Bug humain propose une approche originale de la catastrophe écologique qui se profile, à travers le prisme des neurosciences. Sébastien Bohler ne s'intéresse pas tant aux faits alarmants ou à...
le 3 févr. 2020
9 j'aime