Mitigé... c'est un peu le sentiment qui ressort après la lecture de cet ouvrage.

Difficile de savoir sur quel pied danser...



La première chose qui (me) frappe, après lecture, c'est à quel point ce livre est, par beaucoup d'aspects, inactuel.


Déjà je trouve son approche extrêmement "psychanalysante", ce qui n'est pas sans provoquer de ma part une certaine réserve et qui devrait sans doute lui attirer une certaine méfiance, tant la psychanalyse n'est plus trop en odeur de sainteté de nos jours.


Ensuite, une partie extrêmement significative du Livre (qui est déjà assez court ; 225 pages dont à vue de nez un bon tiers de citations) est composé de commentaire de texte. Fanon a sélectionné grosso merdo 3 ouvrages principaux (Psychologie de la colonisation de Mannoni, Un Homme pareil aux autres Roman de René Maran et Je suis martiniquaise Roman de Mayotte Capécia) et les cite, les analyse, les commente, les critique... pendant des pages et des pages. Or si, pour le premier, qui est un essai sur les conséquences du fait Colonial, cela semble pertinent vu le thème du présent ouvrage, pour les deux autres, qui sont des romans et pour autant que je le sache, des romans relativement insignifiants, je comprends moins l'obsession à rester coller à ces livres ci en particulier. C'est presque une critique façon SensCritique que nous livre Fannon dans ces premiers chapitres. J'ai du mal à saisir en quoi ces ouvrages sont pleinement représentatifs de la Réalité globale du fait Colonial et/ou Racial... Autant, qu'il cite un passage des livres pour illustrer une idée, pourquoi pas. Je peux moi même par exemple citer le personnage de Oncle Ruckus dans les Boondocks pour illustrer la figure d'un "noir qui déteste les noirs", mais il ne me viendrait pas à l'idée de prendre la Série Boondocks comme Alpha et Omega de la Réalité Sociale et de baser des chapitres entiers d'un Essai de science social sur l'analyse approfondie de cette Série... D'ailleurs, l'auteur en semble lui même bien conscient puisqu'il écrit noir sur blanc (si j'ose dire) page 78 qu'il y a une "tentative de mystification à vouloir inférer du comportement de Nini et de Mayotte Capécia une loi générale du comportement de la Noire vis à vis du Blanc..." mais sans que cela semble changer grand chose à ce qui a été dit et ce qui le sera par la suite...


Il y a aussi tout une analyse sur la suprématie Culturelle conquérante de la Civilisation Occidentale et son impact psychologique au niveau collectif, qui, pour juste qu'elle ai pu être il y a peu, me semble aujourd'hui légèrement dépassée (du point de vue psychologique et symbolique hein, d'un point de vu guerrier, l'Occident est toujours autant agressif) : en effet, l'Occident n'a jamais été aussi malade, névrosé, en décrépitude et en crise existentielle que de nos jours. Son Ethos ne fait plus réver grand monde. L'imaginaire qu'il livre est celui d'une planète dévastée et le "sauvage d'Afrique pré-colonial", jadis pointé d'un doigt moqueur par des Occidentaux imbus d'une prétendu supériorité auto-masturbatoire, fait plus figure aujourd'hui de "bon sauvage Roussauiste" qui lui au moins ne s'est pas laissé corrompre par la perversité moderne et ne salope pas son espace vitale et son espace mentale. Il n'y a plus vraiment ce "magister moral et intellectuel" qui semble obséder l'auteur. Les seuls atours de séduction gagnants que revet encore l'Occident sont ceux du consumérisme et de l'hédonisme marchant ; on est bien loin de la puissance symbolique des Platon, Voltaire, Kant et autres Shakespear...


On pourra aussi, puisqu'il est question de décalage avec l'époque contemporaine, si l'on était mesquin, citer un ou deux passages un peu ambigüe sur la question de l'homosexualité ou des Femmes (les "negrophobes seraient des homosexuels refouflés" , "Au fond, cette peur du viol n’appelle-t-elle pas, justement, le viol? De même qu’il y a des têtes-à-claques, ne pourrait-on pas décrire des femmes-à-viol? ")...


En parlant d’ambiguïté, on a souvent (ou alors ça vient de moi? Possible ; il ne faut jamais trop sous-estimer l'influence de notre propre bêtise sur notre difficulté à comprendre le monde) l'impression que l'auteur peine à sortir de cette ambiguïté permanente et des non-dits. Comme dit le proverbe, on ne sort de l'ambiguité qu'à ses dépends et c'est parfaitement résumé par la Citation du film Les Titans de 1962 : "Je ne serais pas Grand Prêtre si j'étais clair". Autrement dit, plus quelqu'un est explicite, clair, entier, transparent et didactique sur un sujet Politique complexe et potentiellement polémique et moins il remportera d'adhésion. Ce n'est pas pour rien si le président actuel de la France est Macron ; un type passé maitre absolu dans l'art de parler des heures pour ne rien dire avec des formules creuses et en affirmant tout et son contraire. Bref tout ça pour dire que j'ai souvent beaucoup de mal à comprendre où Fanon veut aller précisément, ce qu'il envisage comme solutions ou comme débouché.


Le dernier chapitre m'a plu et m'a semblé très beau. Mais il tombe comme un cheveux sur la soupe et me semble entrer, sinon en contradiction, du moins en grande inadéquation d'avec tout ce qui a précédé. On voudrait aboutir à un Universalisme Humaniste Fraternel ("I had a dream" toussa) où il n'y aurait plus ni Noirs ni Blancs? Très bien, je signe direct! Mais comment entend-on aboutir à un tel résultat en passant son temps à ridiculiser (parfois à raison, il faut l'admettre) l'idéal Universaliste Français pour, somme toute, lui préférer en dernière instance, car c'est bien de cela qu'il est question, la version Racialiste et rentre-dedans des US ("L’ancien esclave exige qu’on lui conteste son humanité, il souhaite une lutte, une bagarre. Mais trop tard : le nègre français est condamné à se mordre et à mordre. Nous disons le Français, car les Noirs américains vivent un autre drame. En Amérique, le nègre lutte et il est combattu. Il y a des lois qui, petit à petit, disparaissent de la constitution. Il y a des décrets qui interdisent certaines discriminations. Et nous sommes assurés qu’il ne s’agit pas alors de dons. Il y a bataille, il y a défaites, trêves, victoires.Sur le champ de bataille, limité aux quatre coins par des vingtaines de nègres pendus par les testicules, se dresse peu à peu un monument qui promet d’être grandiose. Et au sommet de ce monument, j’aperçois déjà un Blanc et un Nègre qui se donnent la main (Ah bon? On dois pas parler des mêmes USA). Pour le Noir français, la situation est intolérable. N’étant jamais sûr que le Blanc le considère comme conscience en-soi pour-soi, sans cesse il va se préoccuper de déceler la résistance, l’opposition, la contestation. " page 214)? Finalement le chemin le plus court ou le plus sûr pour arriver à la Fraternité positive, n'est ce pas la guerre raciale ou la ségrégation?... Je ne crois pas non je regrette.


De la même façon que je ne pense pas qu'essentialiser les Ethnies (le Blancs étant le conquérant magnifique et impitoyable par excellence et le Noir la victime frustrée et impuissante archétypale) soit la meilleure méthode pour dépasser les clivages raciaux, d'autant plus quand cela se fait au mépris d'une bonne partie des réalités Historiquement établies (Quid de l'esclavage Arabo-Musulman? Quid de l'Impérialisme et de la sauvagerie Nippone au 19°? Quid des hordes Mongols? Quid de l'esclavage et des guerres intra Africaines? etc.). Alors certes, l'auteur indique plusieurs fois qu'il aspire à dépasser ces clichés, mais dans le même temps, sous couvert de "psychologisation", il se vautre pas mal dedans quand même.


De même, je n'adhère pas à la vision binaire qui voudrait qu'il n'y ai que Racisme ou absence de Racisme, sans aucun dégradé de nuances possibles ("Avant d’aborder dans le détail les conclusions de M. Mannoni, nous voudrions préciser notre position. Une fois pour toutes, nous posons ce principe : une société est raciste ou ne l’est pas. Tant qu’on n’aura pas saisi cette évidence, on laissera de côté un grand nombre de problèmes. Dire, par exemple, que le nord de la France est plus raciste que le sud, que le racisme est l’œuvre des subalternes, donc n’engage nullement l’élite, que la France est le pays le moins raciste du monde, est le fait d’hommes incapables de réfléchir correctement." page 83) Ah? Mais sur quelle base se fonde ce fameux principe si essentiel? Il n'y a donc pas de différences entre le Racisme d'un pays comme la France (actuelle ou celle de 1952) et celui de pays comme l'Afrique du Sud d'avant 1990? De celui de l'Amérique Confédérés? Du 3° Reich Hitlérien?... Que les petits ruisseaux fassent les grandes rivières et que les pires situations d'oppressions raciales soient à la base, nourries par une forme de "racisme ordinaire", je n'en disconviens pas, mais enfin, cela ne permet pas de tout rejeter dos à dos, comme si tout se valait. Fanon demande si pour un Juif "les différences entre l’antisémitisme de Maurras et celui de Gœbbels sont palpables"... Je ne voudrais pas me prévaloir de la réponse, n'étant moi même pas Juif, mais je suppose qu'entre l'antisémitisme Franchouillard de la 3° République (dont Maurras n'est qu'un représentant zélé et qu'on aurait sans doute zappé, sans l'intrusion intempestive de nos cousins Germains en 40) et les camps de la mort, il y avait tout de même matière à palper. De même qu'entre la blague un peu borderline du tonton bourré à Noël et la balle dans la nuque à Babi Yar, il me semble qu'il y a une forme de saut quantitatif et qualitatif non négligeable.


Au delà de toutes ces réserves (on pourrait en trouver d'autres), ça reste un livre dont j'ai apprécié la lecture et que je recommande, à toutes celles et ceux que le sujet intéresse et surtout à celles et ceux qu'il n'intéresse pas particulièrement en fait.


Le livre est bien écrit. Il se lit assez vite. Et il comporte des réflexions intéressantes sur ces questions, sur le rapport psychologiques que peuvent avoir pas mal de monde vis-à-vis des questions de couleurs. Il met malgré tout le doigt sur pas mal de réalités pas très glorieuse de la pratique Coloniale et de ces résidus qui persistent encore de nos jours quoiqu'on en dise et qu'il serait judicieux de ne pas oublier. Certaines de ses observations sur les processus mentaux en oeuvre dans les racismes sont également très bien vu. Il permet globalement de mieux comprendre l'Altérité et même si à mon sens, il a prit un gros coup de vieux (qui devrait amener à une certaine circonspection quand on veut le brandir aujourd'hui comme un Manifeste Politique), il reste un objet de réflexion intellectuel et social tout à fait fécond.


On lui préfèrera néanmoins, du même auteur, les Damnés de la Terre, qui grâce à une approche un peu moins "Psychanalysante" et beaucoup plus terre-à-terre, dans le concret de la pratique Coloniale et de ses conséquences, sera à mon humble avis plus pertinent pour aborder le sujet (et ce nonobstant l'ignoble préface du père Sartre) des traumatismes du Colonisé.




Un sujet qui devrait au passage normalement intéresser les Français au plus haut point, puisque nous sommes nous même une Colonie (à l'insu de notre connaissance) depuis une trentaine d'années et la main mise des USA sur le continent Européen (dont la récente nomination de Fiona Scott Morton à la Direction générale de la concurrence européenne n'est qu'une illustration de plus...)

Broutchlague
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le 20 juil. 2023

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