Pensées
7.3
Pensées

livre de Blaise Pascal (1670)

Le génie au service de l'apologétique chrétienne

Bonsoir à tous,


Cela faisait pas mal de temps que ce célèbre livre hantait mon esprit, et c'est parce que le Magazine Littéraire a sorti un numéro consacré à Pascal que j'ai enfin fait le pas et me suis lancé dans la lecture de ce recueil fragmenté (l'édition Sellier qui suit l'ordre de la seconde copie). J'ai tout d'abord été irrité par le fanatisme de cet homme. Il m'est apparu complètement aveuglé par sa foi et sa dévotion religieuse. Il en ressortait un sentiment amer d'oeuvre pompeuse et moralisatrice. Et puis, même si ce sentiment ne s'est pas effacé totalement, surtout lorsque l'auteur s'acharne à disséquer les livres saints et à citer des passages appuyant ses thèses ou contredisant ses détracteurs, j'ai découvert un homme profondément désespéré. Désespéré par le sentiment du vide existentiel et par le profond aveuglement de l'Humanité. Blaise Pascal nous éblouit par son sens de la rhétorique, par ses aphorismes subtils, évidents et tranchants.


La forme même de l'oeuvre, parcellaire, peut se lire tout d'un trait, pour observer la construction d'une pensée et d'une argumentation, et de manière ponctuelle, comme lorsque l'on souhaite entendre le son poétique des mots. Blaise Pascal est un vrai poète. Il a peut être influencé certains auteurs célèbres (Nietzsche, Char), qui ont employé cette forme courte et lacunaire, mais terriblement foudroyante. Lire Pascal aujourd'hui permet également de mettre en évidence les travers de notre société : boulimie consommatrice qu'il mettait en exergue lorsqu'il évoquait les subterfuges du divertissement et autodestruction programmée par un système social brandissant comme étendard la valeur de la concurrence et du paraître qu'il fustigeât à travers sa dénonciation des ravages du péché d'orgueil.


Il y a à dire sur les génies et leur rapport au christianisme ! Celui de Pascal me fera toujours penser à la "conversion" de Rimbaud sur son lit de mort : quand on est parvenu tout au bout du génie païen et de son inquiétude consubstantielle, que reste-t-il sinon le néant sans réponses ? Voilà donc un projet d'ensemble qui ne me convaincra jamais, tout génie qu'on y trouve dans la dialectique et la démonstration qui tue.


Mais dépassons le personnel et allons plus loin : dans ses Pensées inachevées, Pascal se donne pour projet de convaincre les libertins de son temps que la Vérité est en Jésus-Christ et que tout le reste n'est que misère et folie. Ancien libertin lui-même, ce fut une âme inquiète, torturée, rationaliste, éprise de gloriole, et qui finit par reculer devant la terreur d'une existence privée de toute réponse spirituelle aux misères humaines en général, et surtout aux siennes en particulier ! Le christianisme lui apportera cette réponse. Nietzsche vit dans ce volte-face le déclin d'un génie universel et un nouvel argument contre le christianisme...


Les Pensées ne se limitent pas à ça. C'est un véritable objet littéraire, c'est à dire bigarré, multiple, inclassable. Pascal débusque à peu près tout ce qui peut se faire en matière de mesquinerie, duperie, mauvaise foi, orgueil, fausses philosophies, faux miracles ou fausses religions. Possédé par sa méthode apologétique, il a son lot d'artillerie pour à peu près tout le monde : de Montaigne à Descartes, des jansénistes aux jésuites, des pyrrhoniens aux dogmatistes, du Judaïsme à l'Islam, c'est un vrai charnier servi par une merveille de rhétorique, de profondeur et de subtilité, qui engendre quelques pages immortelles sur tous les thèmes (amour, temps, foi, raison, etc) et d'innombrables passages "cultes" (le pari, le roseau, la chambre, le roi sans divertissement, le nez de Cléopâtre, etc) dignes de demeurer dans le patrimoine.


Blaise Pascal, philosophe, esprit universel et penseur religieux, est l’auteur d’une œuvre à la fois scientifique, philosophique et religieuse. Pascal est considéré comme le précurseur de la philosophie existentialiste, développée plus tard par Kierkegaard, Heidegger et Sartre.


C’est la misère de l’homme privé de Dieu que Pascal souligne dans les Pensées. Au contraire, en Dieu, l’homme peut s’ancrer spirituellement. Croire en Dieu est le parti le plus raisonnable.


Qu’est ce que l’homme selon Pascal ?


A cette question, Pascal apporte, tout d’abord, une réponse psychologique : il place l’homme en face de lui-même et fait un constat de vide et de vacuité. C’est la célèbre thèse du roseau pensant.


– C’est l’inconsistance qui domine dans l’humaine nature.


– Parlons donc de vanité, au sens étymologique de ce terme (latin vanitas, vide), comme caractère de ce qui est creux et inconsistant.


– La vanité est encrée dans le cœur de l’homme : le moi est haïssable.


Voué au vide et à la vacuité, l’homme goûte non seulement les plaisirs de la vanité (chacun veut avoir ses admirateurs…), mais aussi les prestiges de la trompeuse imagination, cette maitresse d’illusion et d’erreur :


– L’imagination désigne une puissance qui interdit à l’homme l’accès au vrai et déforme la réalité en grossissant les petites choses et en amoindrissant les grandes.


– Ainsi sont grossis, par exemple, les illusions et petits objets de l’amour-propre, compris, au sens ancien et péjoratif du terme, comme amour de soi et égoïsme.


En quoi consiste l’amour-propre ? A « n’aimer que soi et […] ne considérer que soi »


Le divertissement selon Pascal : La lutte de l’homme contre sa misère métaphysique


Egaré par l’amour de soi et les puissances trompeuses de l’imagination, l’homme est voué à la mauvaise foi : il refuse de prendre conscience de son néant, qu’il expérimente, tout particulièrement, dans l’ennui, sentiment pénible de vide causé par le désœuvrement ou l’absence de passion étant lié au plein repos, sans occupations ni affaires.


Cette prise de conscience de son néant, l’homme la fuit dans le divertissement, c’est-à-dire dans tout ce qui nous détourne du spectacle de notre misérable condition, inscrite dans le temps et dans la mort, tout ce par quoi nous fuyons la pensée de notre néant : le jeu et l’amusement, mais aussi le travail et l’activité.


– Le divertissement perpétuel nous dérobe à nous-mêmes et nous interdit la réflexion.


La foi et l’ordre du cœur :


Mais la réponse à la question : « Qu’est-ce que l’homme ? » relève aussi de la religion.


– « Misère de l’homme sans Dieu, félicité de l’homme avec Dieu ».


– Par la foi, l’homme peut, en effet, échapper à la sphère inconsistante qui est sienne et connaître la félicité.


Que désigne la foi ?


– Une révélation immédiate et intérieure de Dieu, obtenue grâce au cœur, spontanéité connaissante et intuitive, participant à l’affectivité, vraie force agissante liée au sentiment et saisissant Dieu sans intermédiaires.


Nous connaissons la vérité non seulement par la raison (la connaissance discursive, allant à l’universel) mais aussi par le cœur, c’est-à-dire l’intuition. Autrement dit, le coeur a des raisons que les raison ne point.


Mais comment décider l’incrédule à dépasser le divertissement pour atteindre la sphère de la foi et du divin ?


– Ici prend place le célèbre pari, qui ne constitue nullement une démonstration de l’existence de Dieu, mais un argument tendant à montrer aux incroyants qu’en pariant pour l’existence de Dieu, ils n’ont rien à perdre, mais tout à gagner.


– Si l’on gagne, on gagne tout (la félicité éternelle).


– Si l’on perd, on ne perd rien (une existence misérable, finie et précaire).


– Croire en Dieu est donc un parti très raisonnable : l’homme a tout intérêt à parier pour la religion chrétienne.


Pascal et l’art de persuader :


Il s’agissait, pour Pascal, de persuader les incroyants et de les mener à Dieu. Tel était le dessein des Pensées.


– Or, pour ce faire, Pascal a mis en œuvre une rhétorique dont il faut dire un mot (un peu plus loin).


– Ainsi a-t-il distingué l’art de convaincre, c’est-à-dire d’obtenir l’adhésion de l’esprit à l’aide de preuves rationnelles(en démontrant rationnellement la vérité d’une proposition, en influençant l’intelligence), et celui de persuader, qui consiste autant en celui d’agréer qu’en celui de convaincre.


– Agréer, c’est plaire et intéresser, en recherchant une correspondance entre l’esprit de celui à qui l’on parler et l’expression dont on se sert.


La rhétorique et l’argumentation pascaliennes sont donc très subtiles. Elles ne négligent ni l’art de convaincre ni celui d’agréer. Elles unissent esprit de géométrie, c’est-à-dire raisonnement discursif, déductif et démonstratif, et esprit de finesse, défini comme intuition et discernement juste et immédiat d’éléments complexes.


– Pour conduire à Dieu l’incroyant, Pascal a édifié une rhétorique synthétique et perspicace.


Par son analyse du drame de l’existence humaine et sa subtile rhétorique destinée à nous conduire à Dieu, Pascal apparaît étonnamment moderne. C’est le langage de notre monde contemporaine qu’annoncent les Pensées.


Sur ce, je vous laisse méditer dessus. Portez vous bien. La lecture nourrit l' âme, et la prolonge. Tcho. @+.

ClementLeroy
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le 21 sept. 2016

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San  Bardamu

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