Persuasion
7.7
Persuasion

livre de Jane Austen (1818)

"comme toutes les qualités d’ordre moral, celle-là devait être tempérée et maintenue dans certaines

J’aime Anne Elliot. Anne, qui ne sera jamais vraiment considérée comme une personne à part entière tant qu’elle ne sera pas mariée. Inexistante, incomplète, ne semblant pouvoir être qu’un personnage secondaire, n’ayant pas une place à part entière. Anne à qui on fait sentir qu’elle devrait être autre chose, et dont qui ça ne dépend pourtant pas vraiment. Comme si sa solitude n’était pas déjà une souffrance pour elle, elle semble s’accompagner de l' impossibilité d’exister, d’être considérée comme une personne à part entière; comme une adulte. Car Persuasion traite de la maturité. Et essayer de se considérer comme une adulte, c’est à cette désagréable sensation que ça ressemble. L’impression de l’être sans l’être, de devoir l’être sans pouvoir l’être, que ça relève plus des circonstances que de la volonté, plus de la situation dans laquelle on se trouve que de la maturité réelle,... L’impression de ne pouvoir rien faire, rien faire sinon attendre. J’aime Anne Elliot quand je vais mal ; quand je me sens comme elle.


Je n’aime plus vraiment Persuasion; plus autant. J’ai découvert Anne il-y-a quelques années, quand je me sentais comme elle à peu près tout le temps. Et puis j’ai appris à être heureuse. J’ai mûri un peu grâce à Jane Austen, et un peu à l’envers d’elle. Elle a fini par Persuasion; j’ai commencé par là et je m’en suis éloignée. La préface dit qu’elle a fini par accepter d’embrasser une sensibilité que ne vient tempérer aucune ironie. Moi j’ai appris à tempérer la mienne d’ironie, à prendre du recul, à choisir de voir le côté amusant des choses, à sourire plutôt qu’à me lamenter,... J’ai choisit d’essayer d’être heureuse, quand Anne semble avoir abandonné l’idée.


Persuasion me déprime. Chacun des romans de Jane Austen me fait croire que je serais heureuse, sauf celui-là. Ils me donnent de l’espoir, ils me donnent l’impression que je pourrais faire les bon choix, adopter la bonne perspective, contrôler mon destin, choisir qu’elle genre d’histoire je veux que ma vie sois, quel genre de personnage je veux être. C’est comme si elle m’avait dit livre après livre que l’on peut être heureux si c’est ce que l’on veut, et que soudain elle se rétractait. Comme si elle disait quelque chose que je n’ai absolument aucune envie d’entendre : il-y-a des mauvais choix, des erreurs irréparables, on peut laisser passer le bonheur. Et je ne veux pas y croire alors je n’y crois pas. Certes Anne finit par avoir sa 2ème chance, sa fin heureuse. Mais c’est tellement artificiel, cette fin qui lui est apportée par le destin, par l’auteur, parce qu’elle la mérite. Et je ne veux plus placer ma foi dans le destin, dans cet espoir mélancolique et inquiet que l’on aura ce que l’on a mérité. J’ai envie de croire en moi, de faire des choix. J’ai envie de croire que je prendrais les bonnes décisions, et que si j’en prends des mauvaises je trouverais un moyen de tirer le meilleur parti du chemin que j’ai choisi, de trouver une nouvelle route vers le bonheur... Ironiquement, Persuasion m’a donné deux clefs qui m’ont permis de m’éloigner de lui. Deux clefs qui m’aident à pouvoir me faire confiance.


La 1ère clef est l’impression d’avoir la solution à quasiment tous les dilemmes. La solution étant la voie de la modération, si bien prêchée par Persuasion. Certes, c’est une solution difficile à mettre en application, car savoir que la solution est de trouver le bon équilibre ne suffit pas pour savoir où ce situe cet équilibre et comment l’atteindre. Oui mais non. Écoute ce que les autres ont à dire et prend le en considération, mais pense par toi-même. Ressent les choses et prend en compte tes sentiments mais prend du recul et réfléchit. Toujours un mais, toujours une nuance. Et je ne peux plus rien dire qui soit exactement ma pensée sans que ça nécessite plusieurs phrases parce que tout est dans la nuance. Rien n’est complètement une qualité et rien n’est complètement un défaut. La seule qualité étant la modération, à moins que la modération en excès soit elle aussi une mauvaise chose. Et il n’y a rien qui me semble si ridicule aujourd’hui que les personnes excessives. Quelque chose arrive et des personnes, par ailleurs totalement raisonnables, se mettent à agir comme si c’était la fin du monde. Untel crie, l’autre pleure, tout prend des proportions incroyables, inévitablement les problèmes ne vont pas en s’arrangeant. Et moi qui pleurait tout le temps ne pleures plus si souvent. Rien ne me semble si grave. Même les personnes excessives, dont je choisis de rire plutôt que de pleurer. J’ai l’impression d’avoir Marianne Dashwood en face de moi, j’ai l’impression que les adultes agissent comme des enfants.


Ce qui nous emmène à la 2ème clef : les parents sont des personnes comme les autres. C’est un élément central dans Persuasion, et évidemment une réalisation qui permet de faire un pas de plus vers la maturité. De deux façons. La première est l’idée que si personne n’est infaillible, autant compter sur soi-même. On a l’habitude d’accorder une confiance aveugle, de se reposer sur les autres, de faire confiance à leur jugement. Je suis persuadée que c’est une illusion nécessaire, nécessaire pour pouvoir se sentir en sécurité. Puis vient le moment d’abandonner cette sécurité pour voler de ses propres ailes. Comment abandonner la sécurité pour compter sur soi-même et risquer de se tromper ? Réaliser que la sécurité n’a jamais été là de toute façon semble un assez bon moyen. Si les parents, les adultes en général, sont aussi faillibles que nous le sommes, peut-être qu’après tout notre jugement peut valoir autant que le leur. Sûrement même qu’il vaut plus, car quand il s’agit de notre propre situation, qui est mieux placée pour en juger que celui qui la vit, qui a tous les éléments, qui sait ce qui est important pour lui ? La deuxième façon est assez similaire somme toute. Quand la 1ère te dis que tu dois, la 2ème te dis que tu peux. C’est la façon de voir les choses selon laquelle il n’y a pas une telle chose qu’un adulte. Même si tu te dis que tu dois être un adulte, tu as l’impression d’être une fraude en essayant, de faire semblant, d’être mauvais. Parce que tu continue de définir adulte comme tu l’as toujours fait, tu crois que les adultes savent ce qu’ils font. Non tu ne sauras jamais vraiment ce que tu fais, tu ne seras jamais sûre des conséquences de tes actions, sûr de faire aux mieux. Mais si personne ne savait ce qu’il fait ? Peut-être que si tu es un imposteur, alors ils en sont tous. Et si tout le monde l’est, personne ne l’est.

Miss-Naïs
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le 14 sept. 2015

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