Littérature
Je suis sociologiquement prédisposé à aimer Desproges : mes parents écoutent France Inter. Par ailleurs, j'aime lire, j'ai remarqué au bout d'une douzaine d'années que quelque chose ne tournait pas...
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le 6 août 2013
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Passer huit cents pages avec Pierre Louÿs : ce n’est pas une mince affaire. Il faut être prêt à des concessions, par exemple à mettre de côté toute forme de pudibonderie. Ou, dans le cas de cette biographie, à avoir dès le départ une certaine connaissance de l’œuvre. (Admettons qu’en matière de concessions, il y a pire que de devoir lire du Pierre Louÿs.) Et naturellement avoir du temps de cerveau disponible pour enquiller ces quelque trente chapitres. Mais pour certains lecteurs de biographies vient un moment où le biographé devient un personnage de fiction réussi. C’est-à-dire qu’on vit avec lui, qu’on s’indigne avec lui – ou contre lui, ou pour lui, ou de lui, ou malgré lui, etc., bref, que les enjeux de son existence deviennent partie intégrante de la nôtre.
Dans mon cas, autour de la page 450, je me suis mis à considérer Pierre Louÿs comme j’ai considéré le père et l’enfant de La Route, ou comme une petite fille de dix ans a considéré Lyra ou Will ou Marysa dans À la croisée des mondes, ou comme un lecteur que je ne comprendrai jamais considéra Nell et Eva de Dans la forêt. (Je renvoie les cinéphiles, et les autres, à ce que Roger Odin appelait « désir de fiction ».)
L’ouvrage n’est pourtant pas spécialement racoleur. S’il s’appuie sur la très abondante correspondance, parfois très leste et ici souvent inédite, que Pierre Louÿs a entretenue tout au long de sa vie, Jean-Paul Goujon ne se limite pas au portrait du pornographe plus ou moins frauduleux auquel on réduit parfois Louÿs : « il n’y a non pas un Pierre Louÿs mais des Pierre Louÿs : le mondain, l’érudit solitaire, l’érotomane, l’helléniste, le poète épris d’absolu, le mélomane, le critique littéraire, l’auteur à la mode, le bibliophile, le pataphysicien facétieux, l’amant des “p’tites femmes du boul’ Mich’”, l’archéologue, le cocaïnomane de la fin » (p. 22). On peut certes regretter de ne rien trouver sur Pierre Louÿs dessinateur, et pas grand-chose sur le compositeur et sur le photographe ; le livre n’aurait pas été loin des mille pages.
La structure est classique : six grandes parties chronologiques, à l’intérieur desquelles des chapitres insistent sur telle ou telle sous-période ou portent sur tel ou tel thème au cœur de l’œuvre. Ce faisant, tout en évitant le jour le jour de certaines biographies qui indiquent le régime alimentaire suivi quotidiennement par leur biographé – j’exagère à peine –, Pierre Louÿs : Une vie secrète alterne le factuel et l’analyse : les changements d’adresse et les commentaires d’œuvres, la succession des maladies et l’ancrage dans un cadre social, intellectuel et artistique particulier, l’évolution des liaisons féminines et les idées qui gouvernent Les Chansons de Bilitis, Aphrodite ou la Poëtique.
Comme Jean-Paul Goujon n’est ni pingre, ni inculte, et comme Pierre Louÿs « ne faisait point de différence majeure entre son activité de poète et celle de chercheur : il souhaitait à chaque fois appliquer son esprit à un texte, et peu importait que ce texte fût de lui ou d’un autre, car il considérait la critique comme créatrice » (p. 461), on trouve aussi çà et là des remarques sur les sujets de recherche de Louÿs – Le Zombi du Grand-Pérou, l’auteur des Quinze Joies de Mariage, la controverse Corneille-Molière… Il me semble qu’une personne susceptible de consacrer quelques dizaines d’heures de sa vie à lire huit cents pages sur Pierre Louÿs aime la littérature, et ne regrettera pas ces semi-digressions.
De fait, nous n’avons pas tous écrit Trois filles de leur mère, nos fantasmes ne sont pas ceux de Pierre Louÿs – ce qui est une bonne chose ! –, et nous ne laisserons pas tous quatre cents kilos de papiers après notre mort, mais je pense que chaque lecteur de cette biographie peut se (re)trouver, fût-ce sur un mode inquiet, dans une facette au moins de la vie de celui qui épousa par défaut la sœur de la seule femme dont il ait été amoureux – les amours des filles Heredia, d’Henri de Régnier et de Pierre Louÿs valent un vaudeville ! –, fut un mondain assez vite inadapté à son époque, authentique timide et insatisfait chronique, et mourut aveugle tondu par son entourage. Mais il reste « bien difficile de décider si l’œuvre de cet homme, qui refusa toujours de faire carrière, exprime vraiment un échec » (p. 795).
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Créée
le 4 juin 2025
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