Nous sommes début des années 1800, de Stuttgart Hölderlin se rend à Bordeaux, à pied : Strasbourg, Besançon, Lyon, puis la traversée des monts d’Auvergne, il écrit à sa mère et lui raconte la solitude, la peur, les tempêtes et les nuits glaciales.


« En France, j’ai vu la tristesse solitaire.»


Il arrive à Bordeaux en janvier, exerce comme précepteur mais repart en mai, sans explication. Retour au Wurtemberg, toujours à pied. Quand il arrive à Stuttgart il est un clochard hagard et surtout muet.


Le succès de ses premiers écrits (Hypérion..) rédigés avant son voyage est bien là mais lui « n’entend » déjà plus rien. On souhaite l’envoyer à l’asile : il est déclaré fou. Dès lors (1806) Hölderlin demeure 36 ans cloîtré dans une chambre, en haut d’une petite tour, chez un menuisier qui accepte de l’héberger. Par la fenêtre l’horizon dégagé de la campagne alentour et le rythme des saisons. Il reçoit peu, écrit des poèmes (rassemblés dans ce recueil) et meurt en 1843.


Garder à l’esprit cette histoire lorsqu’on plonge dans les maigres écrits de Hölderlin après 1806 est sans doute nécessaire.


Nul ne sait si ces longues marches en solitaire, harassantes et dangereuses, sont à la genèse de sa folie (mais est-il fou ?) ou sont le révélateur d’un mal antérieur. En 1800, dans cette Europe en ébullition, faire en solo Stuttgart-Bordeaux et retour à pied, dont une partie en hiver, n’est pas une mince affaire (sur GoogleMap en marquant une trajectoire Stuttgart-Strasbourg-Besançon-Lyon-Clermont-Bordeaux-et-retour, ça me donne 2000 kms). Ce long voyage est d’abord un pèlerinage, mais retourné, autocentré, avec comme objectif final le point de départ : la terre natale. Il ne s’agit pas d’une boucle stérile, mais bien d’un pèlerinage dont l’acmé, géographiquement situé au départ, devra révéler une spiritualité nouvelle.


La terre natale


Par les carreaux de la chambre les saisons sont contemplées, les humains très peu présents, à l’écart Hölderlin pose un regard timide sur le dehors et ne s’embarrasse d’aucun détail.


Il découvre sa terre natale, bien qu’il y ait vécu toute sa vie. Le voyage, les longues marches sont justifiés par un désir d'appropriation de cette terre qui ne se livre que parce qu'elle a été quittée. Condition sine qua non. La terre est sobre, calme, saisonnière et météorologique.


La rondeur de la terre est visible du ciel / Pendant le jour entier, entourée de nuit claire / Quand apparaît en haut la foule des étoiles, / Et, plus chargée d’esprit, la vie loin étendue. (L’hiver)


La nature et l’Homme se confondent, c’est un retour aux joies simples


Tel le jour nimbant d’un clair halo les hommes / Et qui, de la lumière issue de la hauteur, / Unit les visions surgissant de l’aurore, / Est savoir, accession au cœur du spirituel.


Et une reconquête de soi


Qui honore le bien ne se fait pas de tort, / s’estime haut, ne vit pas en vain pour les hommes, / Connaît valeur, profite de vivre tel, se fie / Au meilleur, empruntant des sentiers de bonheur.


Dans une forme de pétrification mentale, de folie sobre


Un vivre neuf entend se montrer au Futur, / Il semble que de fleurs, signe de jours joyeux, / S’emplisse le grand val, et la terre aussi bien, / Du printemps, en revanche, est absente la plainte.


Pas de divin, plus de Dieux, pas de métaphore, une poésie nettoyée, lavée, décapée, sans extase ni ivresse : Hölderlin a marché longtemps dans le but de déposer ses armes littéraires.


Allez, j'arrête là, mais ce recueil risque de me suivre longtemps.

-Valmont-
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le 7 oct. 2018

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