Dans l’espace confiné d’un aéroport balayé par la tempête, Estelle Tharreau orchestre un huis clos magnétique où les êtres, tels des particules humaines, se percutent, libèrent leurs ondes de choc et en ressortent métamorphosés, projetés vers de nouveaux horizons.
Sous la contrainte de cet enfermement, les tensions accumulées se fragmentent comme dans une fission nucléaire : une rupture infime suffit à libérer l’énergie longtemps contenue et à déclencher une réaction en chaîne intérieure. Leurs certitudes pulvérisées et leurs vérités enfouies révélées, les êtres se brisent, se révèlent et se transforment.
Parmi eux, un criminel traqué, prêt à tout pour s’échapper mais rattrapé par sa vérité ; une réceptionniste qu’un bagage en apparence anodin plonge dans une spirale de conséquences imprévues ; un enfant enfermé, incarnation de l’innocence prise au piège ; une femme suspendue à l’arrivée d’un voyageur, image du désir obstiné ; enfin, un steward désespéré, silhouette au bord du geste ultime. Chacun incarne une faille universelle – peur, secret, innocence, attente, désespoir. La mosaïque de leurs destins révèle la fragilité de la condition humaine et le poids de ce que tous s’efforcent vainement de tenir à distance.
Enfermant les personnages dans un temps suspendu qui brouille les repères et amplifie l’angoisse, la tourmente agit comme une force inexorable venue les figer en pleine course dans une atmosphère dont l’électricité se confond avec celle des consciences. Dans cette attente confinée, chaque minute est une épreuve, chaque geste une menace latente. Le huis clos se referme comme un étau invisible : privé d’échappatoire, chacun va devoir faire face à ce qu’il prétendait fuir. Le fracas du vent et la violence des éléments résonnent avec les tempêtes intérieures, créant une tension constamment au bord de l’explosion.
Quelques invraisemblances, une écriture si froidement efficace dans l'action qu'elle en vient à occulter une part du potentiel à la fois angoissant et esthétique de la bulle glacée, enfin l’extrême discrétion de la dimension sociale qui donnait toute leur profondeur aux précédents ouvrages de l’auteur : une certaine frustration peut s’immiscer chez le lecteur. Elle se dissipe néanmoins peu à peu, à mesure que les révélations s’enchaînent, que les arcanes du récit se déploient avec une maîtrise indéniable, et surtout que la métaphore du point de fuite, filée jusqu’au bout, confère à l’ensemble sa cohérence et sa puissance symbolique.
Souvent vécue comme une ligne de fuite, une course en avant pour éviter l’essentiel, il faut parfois l’accident de parcours pour que la vie se révèle dans sa vérité nue et nous invite à la vivre pleinement, en accord avec soi. Un roman haletant, oppressant et implacable, qui enferme ses personnages pour mieux révéler la fragilité de nos propres échappatoires.
https://leslecturesdecannetille.blogspot.com