Il y a des livres manifestes, on sait dès les premières lignes ce que va être le sujet, et comment il sera traité. Dans un futur proche dont tout est exactement comme cela se passera, nous prévient l'auteur, une scientifique à la recherche d'un poisson menacé et extrêmement intelligent doit faire une alliance improbable avec le cadre d'une multinationale, l'un de ceux qui gagnent leur vie grâce au sinistre business de l'extinction des espèces. Les deux personnages sont renvoyés dos à dos, la scientifique s'avérant une psychopathe (ou alors ce n'était pas intentionnel?). Même si les deux épilogues révèlent, si on en doutait, de quel côté se tient l'auteur.
La science-fiction écologique, cela ne date pas d'hier, ni les questionnements liés à ce qu'on appelle désormais l'anthropocène, et son réchauffement global. Aujourd'hui, une grande partie de la science-fiction est, à un degré ou un autre, écologique. Ici, c'est le Thème, celui qu'on nous martèle jusqu'à plus soif, jusqu'à la révélation d'un grand méchant qui
ressucite les espèces pour mieux les exterminer à nouveau, au nom d'une morale un peu mystique.
Et après tout, pourquoi pas? Le réchauffement global est une réalité indéniable, quoique beaucoup s'y efforcent encore, et le scénario probable d'une planète de plus en plus terne et, in fine, inhabitable. Avec le lot de catastrophes que cela amène d'ores et déjà, de déni politique et citoyen, c'est un réservoir inépuisable de bonnes histoires. De celles qui interpellent les consciences, genre réveillez vous et agissez, car il est déjà trop tard, mais peut-être qu'on peut limiter la casse!
Ici nous sommes dans un monde encore reconnaissable, l'auteur en profitant pour glisser de petites critiques de l'actualité. Les multinationales font la loi, mais si elles éradiquent une espèce, elles doivent payer, et plus encore si celle-ci se révèle une "espèce intelligente". C'est ça, l'économie de marché, vous pouvez faire le pire, tant que vous le payez à sa valeur (rassurez-vous, elle n'est pas trop élevée, il y a beaucoup d'offre).
Poisson poison se veut une critique acerbe, et la description de ce qui nous attend, tombant ce faisant dans un piège habituel des auteurs de l'imaginaire : trop occupé à décrire son monde de la manière la plus précise possible, Ned Beauman dilue son intrigue, qui se retrouve majoritairement concentrée sur les derniers chapitres du roman. Qu'on pense aux univers d'une science-fiction à l'ancienne, ceux de Jack Vance ou de Edmond Hamilton par exemple : l'univers déployé ne sacrifiait pas le rythme de l'aventure.
C'est ici le principal problème : vous allez avoir une exposition des tenants et aboutissants ainsi que de l'évolution politique, et si vous ne lisez pas certains passages en diagonale parce que ça vous passionne, tant mieux pour vous, mais à mon avis vous êtes une minorité. Et la satire, sans grain de folie, reste très consensuelle et trop sage pour réellement convaincre : Poisson poison ne fâchera personne!
Pourtant, l'écriture n'est pas si mal, avec de l'humour, ce n'est pas hilarant non plus, mais ça reste sympa à lire. On pourra suivre avec intérêt cet auteur, en espérant que le résultat soit meilleur une prochaine fois. Plus baroque, ou avec une intrigue mieux rythmée, et pourquoi pas les deux à la fois? Ce n'est déjà pas honteux, comme résultat.