« A l’heure d’internet et de la révolution numérique, la question que se posent les citoyens n’est plus « Sommes-nous manipulés ? », mais « Comment sommes-nous mentalement influencés, contrôlés, conditionnés ? » »

Quatrième de couverture

Forcément, on se doute d’entrée que l’essai en question risque d’être un peu daté, et effectivement il l’est. Écrit alors que Clinton gouvernait encore les États-Unis, l’ouvrage d’Ignacio Ramonet peut faire sourire quand il évoque internet et les dangers de la publicité, d’il y a 15 ans. Mais il serait dommage de s’arrêter à cela, car cet essai n’est pour autant pas dénué d’intérêt, au contraire.

Ramonet part du principe, relativement évident, que la culture peut être un vecteur de propagande, et particulièrement l’audio-visuel, de la télévision au cinéma. Un postulat aujourd’hui admis et accepté de tous, mais ce qui le rend plutôt intemporel, c’est que Ramonet a choisi une approche historique de la question, partant des films des frères Lumière et de ce qu’ils pouvaient révéler en termes de condition sociale sur les ouvriers quittant les usines jusqu’aux films-catastrophe des années 90, révélateurs sans doute d’une angoisse occidentale quant à l’arrivée d’un nouveau millénaire.

Et l’ouvrage est donc divisé en plusieurs sections, qui n’ont pas grand-chose à voir les unes avec les autres, si ce n’est cette analyse constante des méthodes de propagande et une surinterprétation qui prête parfois à sourire.
Et l’une des principales qualités de ce livre, c’est qu’il permet de découvrir l’histoire du cinéma, autrement, mise en parallèle avec l’histoire des États-Unis, et même de l’Europe. Est-ce que la période d’entre-guerre était propice à l’éclosion du cinéma d’horreur en Allemagne ? Oui, clairement, et Ramonet démontre le message politique que pouvaient contenir ces films, ainsi que l’importance du climat, de l’époque sur la production au cinéma. Encore une fois, ça semble évident, mais l’ensemble est toujours parfaitement étayé par des exemples concrets, et suscite même l’envie de découvrir le cinéma en question. Déjà une bonne chose.

Et s’il semble assez bassement anti-américain (puisque la majeure partie des analyses finissent par se conclure sur l’analyse, parfois trop profonde, de détails de films plus ou moins emblématiques ou marquants pour leur époque, pour révéler que les Américains sont quand même des bons gros salauds impérialistes qui tentent de justifier et de vendre au reste du monde leur « destinée manifeste ». En soi, pourquoi pas, mais Ramonet se révèle assez intelligent pour ne pas tomber dans le manichéisme primaire, et reconnait à certains réalisateurs/producteurs un peu plus d’éthique et d’intelligence, notamment quand il analyse les films sur la guerre du Vietnam, qui furent majoritairement des films dénonciateurs de cette grande mascarade, tandis que les rares films qui tentèrent de la justifier/de la magnifier furent des échecs critiques et commerciaux (les Bérets Verts de John Wayne est souvent cité comme exemple).

Il poursuit d’ailleurs avec l’analyse du western américain, jugé macho, conservateur et surtout créé pour donner un « mythe fondateur » aux Américains, qu’il compare ensuite au western italien, qui ne fait que reprendre les « conventions cinématographiques » du genre, libéré de son poids historique et de la potentielle propagande sous-jacente. Le western italien ne sera jamais vu comme un genre majeur, hormis les chefs d’œuvres de Leone, mais son côté décomplexé et plus fou-fou permettra quand même à certains réalisateurs italiens, et un peu plus à gauche sur l’échiquier politique que ne l’étaient les Américains (pas bien difficile, certes) d’exploiter le genre pour insérer de la contre-propagande discrète. Et qu’on adhère ou non à cette thèse (outre les considérations purement cinématographiques), Ramonet soulève des questions intéressantes : les genres « mineurs » ou moins considérés sont-ils plus propices aux messages politiques (puisqu’on les surveillera moins) ? Peut-on vraiment apprécier un film, comme un bon western, sans se faire au fond influencer par le positionnement sous-jacent de son intrigue ?

Ramonet poursuit sur la télévision, en analysant les séries télévisées populaires du siècle passé (Columbo/Kojak), mais le plus intéressant à mon sens est le formatage de ces séries à la télévision en elle-même. Calibrées à la minute près, découpées pour correspondre aux pages de publicité américaines, ces séries sont ensuite vendues au reste du monde à un prix dérisoire (puisque déjà rentabilisées principalement sur le territoire américain) et entravent d’une certaine manière le développement de séries locales. Tout en imposant en même temps des standards de durée, de découpage des épisodes, qui sont ensuite repris dans les séries étrangères. Et cette « colonisation culturelle » peut même être double, puisque certains pays, en Afrique notamment, vont reprendre les séries américaines, doublées et adaptées en France. Et tout cela provient initialement de la publicité, qui finance indirectement ces séries et leur impose donc une structure propre (4x 13 minutes, avec un twist avant chaque pause).

L’analyse est intéressante, et semble encore une fois tout à fait logique. Les questions qui en découlent ne manquent pas également : comment contourner ce système ? Est-il encore d’actualité avec l’essor des productions privées (HBO, qui justement ne respecte pas formellement ce format-type) et d’internet ? Et même, plus philosophique, jusqu’à quel point la publicité conditionne nos vies ?

Le tout est plutôt bien écrit et se lit assez vite (malgré l’intérêt divergent que chacun portera aux différents chapitres, assez variés dans leur thématiques), et a le mérite d’être émaillé de jolies citations de Rolland Barthes ou de Michel Foucault. Reste un côté un peu trop moralisateur, et surtout un propos parfois trop daté qui diminuent un peu l’intérêt de la lecture.

C’est toutefois une lecture bien recommandable, qui, au pire, permettra de découvrir quelques films fantastiques allemands des années 30, westerns spaghetti méconnus ou films sur la guerre du Vietnam qui ne seront pas passés à la postérité. C’est déjà ça.
Floax
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste ~ Lectures 2015 ~

Créée

le 20 mars 2015

Critique lue 492 fois

8 j'aime

4 commentaires

Floax

Écrit par

Critique lue 492 fois

8
4

D'autres avis sur Propagandes silencieuses

Propagandes silencieuses
CorsairePR
6

Instructif pour un premier livre dans le genre, assez banal sinon

Appuyé sur un certain nombre d'exemple qui commence un peu à dater, I Ramonet essaie de passer en revue les différents messages sous-jacents des différentes oeuvres considérées. Ca peut être...

le 31 mai 2014

1 j'aime

Propagandes silencieuses
Tim62
7

Vous ne verrez plus les pubs et le cinéma de la même façon.

Un livre qui prend de l'age mais qui reste d'actualité. Les nombreux exemples et leurs analyse donne une bonne vision de la situation. Mais je regrette que la quasi totalité du livre parle de...

le 29 nov. 2013

1 j'aime

Du même critique

Racine carrée
Floax
5

Je ne suis pas spécialement porté sur ce genre de musique, mais en tant que Belge, il m'était difficile de passer à côté de cet album, érigé par mes compatriotes en fierté nationale. Et Stromae me...

le 29 août 2013

62 j'aime

5

La Vérité sur l'affaire Harry Quebert
Floax
3

La véritable vérité sur l'affaire Harry Quebert

Je risque d'être un peu dur avec ce roman, mais il faut me comprendre, j'en attendais beaucoup. 7.3 sur SensCritique, auréolé de nombreux prix littéraires que je pensais garants d'une certaine...

le 10 août 2013

56 j'aime

11

Grand Theft Auto V
Floax
9

Jeu Vidéo Total

Je dirais qu'il y a trois manières de noter un produit culturel : au feeling pur, partir d'une note parfaite et retrancher des points en fonction des défauts ou l'inverse. Et selon le point de vue,...

le 14 oct. 2013

55 j'aime

41