Ouvrage très intéressant qui appelle la réflexion et c'était sans doute là la finalité principale de l'auteur. mais petit livre qui n'accomplit pas ses promesses.
Pour traiter en 40 pages police 14 de questions aussi complexes que "Comment penser adéquatement le modelage social de la réalité humaine ?" et "Quelle est la spécificité du modelage occidental en particulier dans le contexte contemporain?" il fallait à Agamben quelque raccourci : partir de la construction théorique d'autres auteurs ou écrits pour fournir l'esquisse d'une réponse. Ainsi Foucault pour la théorie du monde social (manière d'interpréter Foucault qui ne peut que trahir l'esprit de celui qui comme le rappelle Agamben ne voulait pas définir les "universaux" comme l'état ou la société, engagé qu'il était dans l'investigation socialement transcendantal des pratiques et des discours), ainsi Heidegger pour l'ontologie (que l'universitaire italien transforme en une métaphysique au sens heideggérien c'est à dire en une théorie de l'être comme êtreS avec son opposition de l'Ouvert et des dispositifs), ainsi Homo Sacer pour la généalogie théologique de l'économie comme règne des dispositifs.
Finalement la brièveté du texte n'est pas tant la cause que le signe du problème : Agamben se refuse à faire des liens et à objectiver les questions qui se dressent sur le chemin de son exposition théorique. Comment relier un développement contingent des formes sociales dans le monde occidental (c'est à dire la distinction originelle entre l'être ou Dieu et l'oikonomia ou les dispositifs) avec une formulation à prétention universelle des formes sociales à savoir le concept de dispositif ? C'est qu'Agamben ne règle pas le problème du rapport entre le développement contingent des singularités sociales (en somme l'histoire effective) et les formes en soi de la société (dont l'étude revient à une philosophie première de la société). Foucault lui y répondait en refusant toute théorisation en soi de la société dans un va et viens permanent entre l'étude empirique des sociétés et les outils théoriques qui permettent de les comprendre. Mais tant qu'Agamben ne s'attache pas à ce problème il ne peut produire que des connaissances inexactes sur ce qu'impose le capitalisme dans sa phases actuelle comme subjectivation/sujètion et sur ses outils.
Plus grave: son utilisation erronée d'une des versions de l'ontologie d'Heidegger. Plus grave parce qu'il s'agit ici en fait de construire un raccourci métaphysique pour passer de l'herméneutique de l'être à la critique sociale. Poser le dispositif comme une réponse technico-sociale contraignante à l'ouverture ontologique qu'est l'homme ce n'est rien d'autre que référer à des élaborations théoriques préexistantes pour en inférer une compréhension simpliste de la technique et des institutions comme limitation des potentialités de l'homme. Symptomatique des limites de cette démarche simplificatrice: Agamben ne dit rien de ce qu'est fondamentalement un contre-dispositif et évoque un "usage commun" alors que la définition du dispositif ne développait pas vraiment comme trait définitionnel la plus ou moins grande étendue de ceux qui les contrôlent.
En bref un livre qui totalise trop vite des acquis indéniables. A aller trop vite d'un énoncé à l'autre il finit par tomber sur des conclusions simplistes en recouvrant les lacunes sous l'apparente logique des raisonnements abstraits. De la mauvaise philosophie, de la mauvaise critique sociale qui se sert de l'abstrait comme d'un raccourci pour ne pas prendre en charge les complexités du concret. De toute manière avoir comme axe de réflexion la définition d'un unique concept abstrait porte nécessairement une démarche erronée: c'est à la fois s'empêcher d'appuyer sa réflexion sur la précision d'un référent empirique et ne pas voir que pour ce qui est des réalités spéculatives, c'est dans le développement des rapports entre concepts (ou plutôt des concepts comme rapports) que s'accomplit la clarification du réel.