Magnificences poétiques et érudition littéraire

Si Dominique Fortier a consacré deux livres à Emily Dickinson, c’est que, leurs écrits en attestent, les deux auteurs partagent le même rapport au monde ; la même sensibilité à ses infinies nuances, les plus infimes et fugaces soient-elles ; la même capacité à laisser leurs impressions et leurs sensations sourdre, habillées de mots, pour prendre la forme de fragments de texte aussi délicats que des ailes de papillons. Comme d’autres collectionnent les lépidoptères ou confectionnent des herbiers pour conserver le fragile et l’éphémère, toutes deux capturent les instantanés de leur vie pour leur offrir un abri de papier, et, du même coup, se sauvegarder elles-mêmes.


C’est ainsi que, faisant sienne l’analyse d’un préfacier d’Emily Dickinson : « Ils montrent, ces poèmes, que ce que l’on appelle poésie est une chose extrêmement rare, et vitale. Quelque chose dont on ne peut se passer pour vivre. Et qui aide à mourir », Dominique Fortier mentionne le pouvoir protecteur et consolateur des mots et de l’écriture, eux qui, depuis la mort de son père, l’aident à se reconstruire et à apprivoiser l’absence. Ecrit dans la parenthèse des aubes d’un séjour en bord de mer, en ces instants où, comme le rêve et le réel, comme le deuil et l’écriture, le ciel et l’océan s’épousent en un trait de lumière encore évanescente à l’horizon, ce court texte assemble ses fragments comme autant de parcelles des émotions de l’auteur, miroitant doucement en ces moments suspendus où la vie prend le temps de se poser et l’âme de s’apaiser.


Semblable au chuchotement têtu des vagues émergeant de l’obscurité mourante, le murmure persistant des mots surgis de l’invisible convoque avec poésie ces mille choses à la fois minuscules et si grandes qui pavent notre existence – souvenirs précieux, modestes moments de bonheur et de communion avec nos êtres chers ou avec la nature –, mais aussi la littérature, au gré de références – de Ronsard à Emily St John Mandel, en passant par William Faulkner, Ferdinand Pessoa ou Marie Darrieussecq – éclairant la nuit comme une constellation d’étoiles.


Très intime, le récit n’est jamais triste. Contemplatif et apaisé, il s’illumine de ces moments de grâce, ici souvent littéraires, qui vous réconcilient avec la vie et son inéluctable fugacité. Difficile de ne pas penser au somptueux Le roitelet de Jean-François Beauchemin, plus philosophique et moins littéraire dans ses références, mais si semblable en esprit. Si cet autre auteur québécois nous offre lui aussi une méditation, peut-être plus aboutie, sur la vie et sur la mort, insistant sur l’étrange cohabitation du corps et de l’âme, sur la puissance consolatrice des liens affectifs et sur les impressionnantes perfections de la nature, Dominique Fortier, en amoureuse des livres qui, de son propre aveu, se pense lectrice avant de se percevoir écrivain et laisse le sens sourdre des mots plutôt que l’inverse, nous enchante plus particulièrement des magnificences poétiques de sa plume et de son érudition littéraire.


https://leslecturesdecannetille.blogspot.com

Cannetille
8
Écrit par

Créée

le 31 août 2025

Critique lue 30 fois

5 j'aime

10 commentaires

Cannetille

Écrit par

Critique lue 30 fois

5
10

Du même critique

Veiller sur elle
Cannetille
9

Magnifique ode à la liberté sur fond d'Italie fasciste

En 1986, un vieil homme agonise dans une abbaye italienne. Il n’a jamais prononcé ses vœux, pourtant c’est là qu’il a vécu les quarante dernières années de sa vie, cloîtré pour rester auprès d’elle :...

le 14 sept. 2023

21 j'aime

6

Le Mage du Kremlin
Cannetille
10

Une lecture fascinante

Lui-même ancien conseiller de Matteo Renzi, l’auteur d’essais politiques Giuliano da Empoli ressent une telle fascination pour Vladimir Sourkov, « le Raspoutine de Poutine », pendant vingt ans...

le 7 sept. 2022

19 j'aime

4

Tout le bleu du ciel
Cannetille
6

Un concentré d'émotions addictif

Emile n’est pas encore trentenaire, mais, atteint d’un Alzheimer précoce, il n’a plus que deux ans à vivre. Préférant fuir l’hôpital et l’étouffante sollicitude des siens, il décide de partir à...

le 20 mai 2020

19 j'aime

10