Ma critique complète (attention spoilers importants) : https://sospoilogie.wordpress.com/2025/09/23/quatre-jours-sans-ma-mere-de-ramses-kefi-2025/

Ramsès Kefi est une des raisons pour lesquelles j’avais redonné sa chance au journal Libération il y a quelques années. Ses articles étaient toujours un délice, un point de vue et une écriture hors pair. Son départ in petto du quotidien m’avait laissé orphelin. Quel plaisir de retrouver sa plume dans ce premier roman qui n’est certes pas le roman de l’année, mais qui est un très bon livre.

Quatre jours sans ma mère est une fiction dans laquelle Kefi a probablement mis beaucoup de références autobiographiques ou de choses qu’il a entendues en interview. Salmane Gammoudi est le plus vieux Tanguy de sa cité en lointaine banlieue parisienne, la Caverne. Malgré son master en histoire ancienne, il travaille au Chirachid, un restaurant fusion qui propose tant des sushis que des merguez. Il passe la plupart de son temps dans le parking, à refaire le monde, fumer et boire, avec Archie son meilleure ami et sa bande. Ce déclassement scolaire est mal pris par ses parents, immigrés tunisiens qui ne veulent plus entendre parler de leur pays de naissance. Un jour, son père Hédi trouve un mot de sa mère Amani, expliquant qu’elle est partie pour quelques jours. Comme dans tant de récits, une femme disparait (ce qui est original ici, c’est que c’est la mère), ce qui permet de créer une aventure, des rencontres savoureuses, de révéler des secrets de famille et d’opérer des révolutions intimes.

Une langue populaire

Il faut commencer par le style de Ramsès Kefi. C’est sa plume qui faisait toute l'originalité de ses articles et de ce roman. C’est un langage familier, populaire, rempli d’argot plus ou moins banlieusard, sans pour autant être un langage “jeune”, “cité” ou “à la mode”. Ce n’est pas un style qui voudrait imiter le langage des cités de banlieues actuelles. On est loin de Deux secondes d’air qui brule de Diatty Diallo qui était plus proche de ce langage, de manière très juste par ailleurs. Les mots utilisés par Kéfi sont même parfois un peu datés, plus proches de Renaud que des rappeurs français. De même pour les expressions, qui font plus prolétaire old school que jeunes des milieux populaires actuels. C’est finalement à Cavanna que j’ai pas mal pensé dans le style, avec des mots choisis dans ceux du peuple, sans pour autant remettre en question la langue française. J’ai l’impression malgré tout que Ramsès Kefi aurait pu aller plus loin dans la langue, le style, les images, comme il a pu le faire par ailleurs, et qu’il est resté un peu scolaire et timoré pour ce premier roman. Il y a presque des moments où le style paraît forcé. On trouve des similitudes avec les mots de Cavanna mais on est loin du brio de la langue des Ritals. Je suis persuadé que Kéfi a en lui des romans plus forts que celui-là.

C’est la même chose dans les comparaisons. Kéfi propose des images loin de ce qui se fait ailleurs, mais parfois un peu forcée et datée (“toute la sainte journée”, “les ratiches”, “un bobard”,”le vieux se goure”,”une toquante”). “Les récits de nos conteurs les plus doués surexploitent le passé. Ils ont le goût du chewing-gum mâchouillé.” “Aux cartes, il perdait gros, jusqu'à empiler des dettes à quatre bulles.” “Il a gardé les mains le long du corps “comme un défenseur de ligue 1 dans la surface” “ma famille tient au mieux comme une dent de lait” !

Un hymne au quartier

Le décor de ce roman, c’est le quartier des Cavernes (“La Caverne, notre terroir, est un quartier populaire comme un autre”). Kefi invente une cité tranquille, avec ses sept tours, un parking, un bar (le Mascara) et une ligne de bus (le 789). Il y a une petite histoire de la cité, les tags rupestres qui lui ont donné un nom, les histoires de came, d’immigration, les cancans, les rêves brisés, les histoires d’amour et tout le reste. Paris est très loin, on peut y aller en cas d'extrême urgence, comme pour acheter des croissants le matin d’une naissance. Mais c’est une ville tellement lointaine qu’on préfère faire des heures de bus pour aller dans un autre centre commercial de banlieue pour faire des courses. Salmane est attaché à son quartier de manière tellement forte qu’il est incapable de le quitter. Il n’est jamais parti en vacances, vit encore chez ses parents et ne se voit pas vivre ailleurs. Il est de la Caverne, c’est tout. Cet attachement au quartier, cet amour inconditionnel qu’en ont certains garçons de cité, Ramsès Kéfi en fait un portrait émouvant. Comme les sociologues l’ont montré de longue date, le quartier est à la fois ce cocon qui protège et cette prison qui enferme. L’ennemi principal du père de Salmane est le qu’en dira-t-on, il a plus peur du regard des autres que de vivre sa vie (“Sa hiérarchie est immuable: Dieu au septième ciel et, au huitième, la réputation de sa famille“). Salmane se demande pourquoi il s’est laissé entraîner dans cette spirale sans fin avec son ami Archie, lui qui avait un avenir brillant devant lui. Tout simplement cet attachement au quartier (le capital d’autochtonie ?) dont parle par exemple Marwan Mohammed. Salmane et sa bande font penser aux personnages des Gangs du Bois du Temple de Rabah Ameur Zaïmeche, ces garçons qui ne sont pas forcément des délinquants, qui acceptent de vivre de peu, de petits boulots, tant qu’ils sont proches de leurs amis et de leur quartier.

Dans ce roman, il y a quelque chose d’assez intéressant et rare dans la littérature française. La majorité des personnages sont racisés. Salmane est fils de tunisiens, Archie est antillais, presque tous les noms des voisins de la cité sont issus de l’immigration. Pourtant, Kéfi n’en fait pas quelque chose d’important. Les personnages sont d’ici et là, peu importe. L’origine nationale ou ethnique n’est pas tellement une question. Chacun a atterri dans la cité des Caverne à un moment ou à un autre, avec sa propre histoire personnelle, mais ce n’est pas l’histoire nationale qui intéresse le narrateur. il ne faudrait pas le souligner, mais ce récit me semple soit post-racial soit a-racial et je trouve cela très beau. Une anecdote est très parlante à ce niveau, c’est le facteur qui s’est trompé en postant une lettre aux voisins parce que “Gammeiro c’est presque Gammoudi”. Il y a tout dans cette anecdote. Les tunisiens, les portugais et leurs enfants ne sont finalement pas si loin. Ramses Kefi a par ailleurs l’élégance de ne jamais souligner ce truisme.

De l'impossibilité de construire sa vie sur un mensonge

Au-delà de la langue et du décor, ce premier roman est construit autour d’un récit familial. La vie de Salmane est basée sur des erreurs et des mensonges. Ses parents l’ont prénommé en hommage à un homme qui les a aidé à Marseille, mais ils se sont trompés et lui ont donné le prénom de sa tortue. De manière plus grave, Hédi et Amani ont menti à Salmane et fondé leur vie sur un mensonge. Ce ne sont pas des orphelins qui ont quitté la Tunisie sans attache. Ils ont fui leur pays par amour, car leurs familles étaient divisées et opposées à leur union. Pour ne pas se faire mal, ils n’ont pas amené la Tunisie dans leurs valises en France. Amani a donc fui la France, Hédi et Salmane. Elle souhaite renouer avec son pays de naissance et retrouver sa famille là-bas, elle veut qu’Hédi soit à nouveau plus complice et à l’écoute avec elle et elle aimerait que son départ soit un électrochoc pour que Salmane puisse enfin vivre sa vie ! Il n’a pas pu se construire en tant qu’adulte car l’histoire familiale était construite sur du sable. C’est de la psychologie de bas étage, on pense au personnage du film Adieu Gary qui attend son père car personne ne lui a rien dit. C’est l’histoire de l’émancipation d’une mère et de son fils, car Salmane va quitter son boulot, découvrir la tunisie, laisser partir son ami Archie, racheter le bar de la cité et enfin trouver l’amour de sa vie ! Ce happy end est un peu gros, le bonheur au bout du chemin de croix. Pourtant, il y a de nombreuses belles scènes, des moments naïfs assez émouvants. Par exemple lorsque Salmane achète une parka pour impressionner sa mère mais que sa carte bleue ne fonctionne pas (le vendeur lui fait une fleur, par solidarité de classe).

“Le jour de ma naissance, Amani a tout chamboulé. Mes parents s'étaient mis d'accord pour m'appeler Sami, mais la Mama a improvisé. Salmane lui était apparu en rêve avant l'accouchement. Ce vieux Nord-Africain à l'épiderme criblé de trous fut leur voisin durant le temps qu'ils ont passé à Marseille. Avec sa jambe de bois et sa tortue, il traînait dans la rue où il enchaînait fous rires et thés rouges - il gardait un verre dans la poche de son veston. Et voilà: il avait suffi qu'il revienne dans les rêves de ma mère pour que j'hérite de son prénom. Le Vieux n'avait pas râlé. Il avait un enfant. A la maternité, il m'avait pris dans ses bras, puis s'était jeté par terre de bonheur. En pleine euphorie, il s'est rendu compte d'un oubli. Après l'accouchement, Amani voulait absolument manger un croissant. Il était déjà tard. À mobylette, Hédi a fait la tournée des boulangeries des environs, qui étaient soit à sec, soit fermées. Mon père ne se voyait pas décevoir son amoureuse. Il est monté dans un taxi pour Paris. Là-bas, il savait où trouver la marchandise. Son salaire de la semaine y est passé. Il s'en moquait, il était heureux. À sa sortie de la maternité, Amani a remonté la trace du vieux Salmane grâce à une ex-voisine retrouvée dans l'annuaire. Elle l'a appelé pour lui annoncer la nouvelle. Il a explosé de rire... il a dû raccrocher tellement il riait. Et il l'a rappelée tout de suite. Salmane n'était pas son prénom. C'était celui de sa tortue.”

La fin sur le personnage du père alors que le livre est sur la mère.

Jo_Babouly
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le 23 sept. 2025

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