J’ai un aveu à faire : je n’avais jamais lu de livre de Victor Hugo avant ce Quatrevint-Treize. Tout d’abord parce qu’il n’était pas aux programmes lorsque je fréquentais encore les bancs de l’éducation nationale, et puis parce que par la suite, lorsqu‘après quelques années d‘errance, je me suis remis à lire, je n‘ai quasiment point plonger mon nez dans la littérature française classique, à un Alexandre Dumas ou un Louis Garneray près. Quoi qu’il en soit, aujourd’hui l’erreur est réparée - en partie grâce à Kxking qui m’en avait conseillé vivement la lecture.


Avertissement, cette critique contient du spoils.


Quand on parle de 1793, pour nombre d’historiens, et de penseurs, cela évoque la Terreur et ses débuts (même si certains les situent en 1792, voir 1789), cette époque révolutionnaire frappée par de violentes répressions contre les opposants à la Révolution, que ce soit dans les mouvements royalistes, voir au sein même des mouvements républicains modérés. De ces nombreuses répressions à travers le pays, l’une d’entre elles aura marqué les esprits dans les Terres de Bretagne et de Vendée, le massacre des Chouans.


C’est dans ce territoire que débute Quatreving-Treize. Hugo introduit avec force l’un des personnages centraux de son roman, le Marquis de Lantenac, qui suite à une bataille maritime entre les forces royalistes et les forces révolutionnaires, accoste près du Mont-Saint Michel. Son but : réunir les troupes bretonnes et vendéennes et s’allier aux anglais pour reprendre la France au nom du Roi. En parallèle, les armées républicaines accueillent dans leur régiment, une femme et ses trois enfants, dont le destin va les vouer à être séparés de leur mère suite à leur rencontre malheureuse et sanguinaire avec le Marquis.


Une première partie plaisante à lire, même si parfois un peu lourde, Hugo décrivant une bonne partie du navire sur lequel se trouve le Marquis et énumérant quantité de noms communs et de lieux (j’ai reconnu certains fiefs familiaux ayant des origines de la Mayenne héhé), tout cela est relevé par l’écriture de ses personnages et de leurs actions.


C’est ensuite à Paris que Victor Hugo nous emmène, à la rencontre des deux autres protagonistes principaux, Cimourdain, un ancien prêtre devenu révolutionnaire, et qui par le passé fût maitre dans une maison noble ; et Gauvain, ancien Vicomte, ayant également basculé du côté de la République, commandant en chef expéditionnaire en Bretagne, et surtout, élève de Cimourdain, et petit neveu du Marquis de Lantenac. Cimourdain sera envoyé en Bretagne par la Convention (une sorte d’ancêtre de l’Assemblée Nationale) pour veiller à ce que Gauvain arrête puis exécute par la Guillotine, le Marquis.


Cette seconde partie, très honnêtement, fut un calvaire (quitte à parler de Bretagne…). Lorsque vient le passage d’une confrontation imaginaire entre Marat, Robespierre et Danton, dans l’arrière salle d’un café parisien, je m’attendais à un dialogue épique entre ces trois grandes figures de la Révolution française. Que nenni mon bon Monsieur ! C’est une avalanche de noms communs et de lieux qui reviennent une fois encore, avec quelques citations (bienvenues cependant) de certains hommes politiques de la Convention, et des insultes entre ces 3 Hommes qui ne s’appréciaient guère. Alors j’imagine que ce doit être passionnant quand tu as encore les notions historiques sur le sujet, mais quand tu ne les a plus, c’est franchement pompeux. Et même si il y a des annexes pour aider à la compréhension, j’avoue avoir sincèrement failli flancher et arrêter ma lecture.


Quel erreur c’eut été ! Je n’aurai jamais eu le plaisir de découvrir le génie avec lequel Hugo transcende sa dernière partie. C’est de l’épique que je voulais ? Me voila enfin servi ! Histoire de garder quelque peu le suspense pour qui me lira, 2 batailles sont ici exposées. La première est un plaisir de finesse stratégique pour une troupe militaire en infériorité numérique. La seconde est un savant mélange d’épique, d’héroïsme, de cruauté et d’humanisme dans la conquête d’une Tour, la Tourgue opposant 19 royalistes à 4000 républicains (peut-on encore parler d‘infériorité numérique ici ?). Hugo arrive à surprendre chapitre après chapitre, parce que cette homme savait manier l‘incertitude quant aux sorts de ses personnages, le tout guidé par une vraie tension. Et que dire de ces chapitres consacrés aux 3 enfants ? L’écrivain arrive à dépeindre l’innocence avec une beauté rare. Tout comme le désespoir de cette mère lancée à la recherche de sa progéniture.


Le final, quant à lui est éblouissant, confrontant des idées royalistes mourantes, à une République naissante, dans laquelle Victor Hugo distille à travers le jeune Gauvain, les futures pensées qui feront le siècle des Lumières. Utopique, mais grandiose, un bel essai philosophique sur l’apport de la Révolution, qu’il faudrait mettre dans toutes les mains, tellement il est visionnaire. Des mots qui résonnent encore de nos jours.



Ô mon maître, dans tout ce que vous venez de dire, où placer vous le
dévouement, le sacrifice, l’abnégation, l’entrelacement magnanime des
bienveillances, l’amour ? Mettre tout en équilibre, c’est bien ;
mettre tout en harmonie, c’est mieux. Au dessus de la balance il y a
la lyre. Votre république dose, mesure et règle l’homme, la mienne
l’emporte en plein azur ; c’est la différence qu’il y a entre un
théorème et un aigle.



Et



Vous voulez le service militaire obligatoire. Contre qui ? Contre
d’autres hommes. Moi, je ne veux pas de service militaire. Je veux la
paix. Vous voulez les misérables secourus, moi je veux la misère
supprimée. Vous voulez l’impôt proportionnel. Je ne veux point d’impôt
du tout. Je veux la dépense commune réduite à sa plus simple
expression et payée par la plus-value sociale.



Mais aussi



Gauvain reprit :
- Et la femme ? Qu’en faites vous ? Cimourdain répondit :
- Ce qu’elle est. La servante de l’homme.
- Oui. A une condition.
- Laquelle ?
- C’est que l’homme sera le serviteur de la femme.
- Y penses-tu ? S’écria Cimourdain, l’homme serviteur ! Jamais. L’homme est maitre. Je n’admets qu’une royauté, celle du foyer.
L’homme chez lui est roi.
- Oui. A une condition.
- Laquelle ?
- C’est que la femme y sera reine.
- C’est-à-dire que tu veux pour l’homme et pour la femme…
- L’égalité.
- L’égalité ! Y songes tu ? Les deux êtres sont divers.
- J’ai dit l’égalité. Je n’ai pas dit l’identité.



Je pensais détenir ma lecture lourde de l’année après la deuxième partie du roman, mais si je puis me permettre une comparaison avec le rock progressif - l’écrivain classique maniant les mots, comme un guitariste progressif manie les notes - du touché technique mais ennuyeux d’un John Petrucci, j’ai découvert la finesse et la précision d’un Robert Fripp. Et telle la bataille du Lizard de King Crimson, celle de La Tourgue devrait rester gravée dans ma mémoire.

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le 6 févr. 2019

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