Queer n'est pas tellement un roman de folie. Il marche bien parce que c'est un roman froid comme le Mexique et à peu près aussi analytique et sensé que peut l'être le journal de bord d'une anti-quête.
Queer est un roman de tristesse. La tristesse est une mécanique, et en tant que telle elle se caractérise par sa précision et son efficacité. C'est une usine de comptabilité du sentiment qui va mettre des gestes chiffrées sur la douleur et le manque, dans des unités qui pourraient certes paraître curieuses pour le quidam mais qui dans l'économie sentimentale trouvent leur sens ; il n'est pas tellement plus absurde de mesurer en rhum-cola / jour un échec ou en baises autorisées par semaine la frustration que de s'appuyer sur les conventions qui régissent nos vies d'ordinaire.
Queer n'est pas un récit à filtre jaune pisse comme tout bon imaginaire mexicain devrait l'être, Queer est un récit des températures négatives et pas seulement parce que l'absence physiologique de drogue dans son système pousse le corps au grelottement. Burroughs étudie bien ce que la tristesse avale et dissipe comme énergie lorsque les bras mécaniques arrivent à s'agiter sur leurs dernières gouttes de carburant.
On s'agite pour ne pas mourir chez Bourroughs, mais on sait qu'à un moment on crèvera sous le poncho troué parce que la neige du manque rampe dans tous les interstices.
Un très beau roman bleu.