Cœur de l’adaptation mêlant Rashômon et Dans le Fourré qu’en a tirée Akira Kurosawa, ce troisième conte se découpe en témoignages, et multiplie ainsi les points de vue sur la mort d’un voyageur à l’écart d’une route médiévale. Encore une fois, Ryûnosuke Akutagawa sculpte les regards différents et vient souligner



l’inégalité subjective qui fait obstacle à l’unité sociale.




Oui vraiment, la vie humaine n’est-elle pas comme une rosée ou


comme un éclair…



En développant, à tâtons semble-t-il, une chronologie autour de l’inconnu trouvé là gisant dans le fourré d’une forêt en retrait du chemin des voyageurs, l’auteur offre un rapide aperçu des points de vue qui s’accordent avec passion ou désintérêt sur un fait selon leur propre implication, et de cette forme sciemment structurée, exprime encore son point de vue désabusé et sans illusion quant à la condition humaine, quant à l’insignifiance relative de l’existence.



Seulement, moi, je brandis le sabre que j’ai à la ceinture,


tandis que vous, vous n’en usez pas : vous tuez par le pouvoir, par
l’argent ou même au moyen d’une simple parole d’apparence bénigne.
Évidemment, le sang ne coule pas. La victime continue à vivre. Mais
vous ne l’en avez pas moins tuée ! Du point de vue de la gravité de la
faute, je me demande qui de nous, vous ou moi, est le plus criminel.



Encore une fois également, Ryûnosuke Akutagawa évoque le suicide sans détour. Prémonition de ce que sa condition d’artiste éveillé aux inégalités sociales et morales qui font la fragilité de l’existence lui offrira au bout du chemin.



L’art de faire gronder le tourment,



l’art de laisser une situation dégénérer, tout est là, jusqu’au final sans concession. Brut. Inexorable.



Enfin, au pied du sapin, j’ai péniblement soulevé mon corps
épuisé. Devant moi, luisait le poignard que ma femme avait laissé
tomber. Le saisissant, je l’ai enfoncé d’un coup dans ma poitrine.
Quelque chose comme une boule âcre et chaude est monté jusqu’à ma
gorge. (…) Ce fut la fin. J’ai sombré dans la nuit des limbes pour
n’en plus revenir…



Et exprime ainsi ouvertement l’attente d’une délivrance morbide qui viendra, quand il n’aura plus rien à ajouter qu’une « vague inquiétude » à son regard désabusé, lui ôter toute envie et toute force de poursuivre plus loin l’aventure d’une existence hantée des ignominies les plus exécrables tapies dans les motivations secrètes d’individus trompeurs, manipulateurs et inconscients, ou insouciants, impitoyables, qui dénouent sans fin le tissu de l’humanité.

Créée

le 7 déc. 2017

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