Dans ce bref essai, qui est en fait la trace écrite d'une conférence qu'Umberto Eco a donné à la Columbia University en 1995 l'écrivain nous propose un exercice citoyen, reconnaitre le fascisme.


Le mot est galvaudé. Umberto Eco, qui a connu le régime mussolinien enfant, commence par parler de son expérience de la liberté. C'est parce qu'il, dit-il, a compris ce qu'était la liberté qu'il a compris ce qu'était le fascisme. Lorsque la guerre s'est achevée en Italie, il a rencontré, tout jeune garçon encore, un soldat américain, et a découvert un mode de pensée nouveau. Sous le fascisme, il n'y avait pas la possibilité d'envisager une autre alternative politique, économique ou sociale. La pensée était morte.


Le fascisme selon lui est différent du totalitarisme car le totalitarisme implique une idéologie structurée et totalisante. Mussolini n'avait pas de pensée fixe. Il avait une rhétorique. Le fascisme c'est d'abord des mots, c'est d'abord un discours. Il l'explique très bien en parlant de l'art. Sous le nazisme il aurait été impossible de créer ce qui a pu être crée sous l'Italie fasciste, qui, tout en mettant en avant un art de propagande laissait aussi des arts plus avant gardistes se développer dans une contradiction absolue. En architecture l'Allemagne avait Albert Speer, un style identifié et propre. Alors que pour l'architecture fasciste, il y a de multiples influences, c'est le syncrétisme.


On pourrait étendre cette définition du fascisme à la France de Vichy. Selon le politologue Stanley Hoffmann, ce régime était une dictature pluraliste, c'est à dire un amalgame de penseurs, opportunistes, politiciens de tous les horizons autour d'une figure autoritaire, d'un militaire. Le vieux réactionnaire nationaliste, comme le socialiste ambitieux et prêt à la compromission pouvait trouver en Pétain et dans le fascisme sans fard, mâtiné de vieux militarisme, le moyen de briller.


Le fascisme est donc fluctuant, une pensée et des mots plus qu'une politique. C'est pour cela qu'Umberto Eco parle d'Ur-fascisme, référence à Ur, la première ville connue de l'humanité en Mésopotamie. C'est le fascisme primitif, ses prémisses en quelque sorte. Il existe 14 caractéristiques au fascisme : il n'y a pas besoin qu'elles soient tous réunies pour que le fascisme pointe le bout de son nez. Une ou quelques unes installent déjà le fascisme et peuvent devenir le terreau du pire. Eco a ce mot terrible à ce propos : le fascisme n'était pas le nazisme mais il a été le premier régime autoritaire en Europe sur lequel les autres régimes autoritaires et totalitaires ont pu se bâtir. Il est le prélude du mal.


Dès lors le fascisme est suceptible de revenir. Il n'est pas une théorie gravée dans le marbre ou le temps comme nous l'avons dit, mais bien une rhétorique et une idéologie fluctuante, faite par exemple du syncrétisme culturel, de la novlangue simpliste, d'un populisme choisi, d'un traditionnalisme mais en même d'un futurisme qui puise ses racines dans la tradition, il est paradoxal, incohérent d'apparence, et en cela larvé et dangereux. Par exemple, la religion : Mussolini était farouchement socialiste et athée avant d'établir un concordat avec le Pape. Par exemple la monarchie : il est tout autant populiste que royaliste faisant même du roi d'Italie un empereur mais comme dans toute dictature Mussolini a censuré, emprisonné, assassiné des opposants. Son ennemi a été toute opposition. Le fascisme c'est aussi le culte égoiste de l'héroisme, de la virilité et de la violence. En supprimant toute opposition, il a réussi à s'imposer, puisque empêchant jusqu'à la pensée. La pensée est l'ennemi du fascisme car le fascisme ne tolère finalement aucune remise en cause.


Il y a aussi un superbe passage sur la résistance et en cela le discours de Eco se veut celui d'une résistance. Il regrette qu'on puisse remettre en cause pour des raisons politiques et idéologiques ceux qui ont lutté contre le fascisme et les autres autoritarismes en Europe : il y avait certes les communismes mais aussi des gens de droite, et de tous bords. La résistance, c'est la légitimité des peuples européens préservée. Résister, c'est en quelque sorte continuer de vivre.


A méditer.

Tom_Ab
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le 28 mai 2017

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