Un livre atypique et important. Pas facile à classer, c'est tantôt un essai de sociologie, tantôt un roman autobiographique, parfois un commentaire politique, et même un livre de règlement de comptes. Au début ça perturbe : le manque de rigueur de l'autoanalyse sociologique, les commentaires piquants envers les psychiatres, les sociologues néo-conservateurs et les philosophes de la nouvelle gauche nuisent à l'objectivité de l'analyse et en fait c'est quand même super intéressant.
A la mort de son père, Didier Eribon revient à Reims et renoue avec sa mère. Il avait fui sa famille d'origine ouvrière très modeste, autant pour pouvoir vivre pleinement sa sexualité gay que par honte ou parce qu'il n'avait plus rien à leur dire, lui le sociologue philosophe invité à des conférences à Yale. Il s'interroge aussi froidement que possible sur les dynamiques sociales qui ont influé son destin de transfuge de classe et c'est parfois vraiment brillant. La compréhension précoce de l'installation durable du vote RN comme résultat conjugué d'une trahison de la gauche populaire et de l'exploitation d'un espace politique qui avait toujours été là dans le rejet de l'étranger, les parallèles et les différences entre les oppressions subies par les personnes homosexuelles et celles des milieux populaires (qui s'excluent l'un l'autre) et le recul sur son propre parcours de "miraculé" truffé d'anecdotes d'enfance toujours pertinentes et éclairantes.
Il y a juste un problème avec le côté fourre-tout qui nuit à la cohérence du bouquin et à la puissance de ces analyses et enfin une langue sociologique un peu trop verbeuse à mon goût, bien meilleure quand elle est littéraire.