Rûmî appartient à cette lignée rare d’êtres qui ne parlent pas de Dieu : ils parlent depuis Dieu. Lire ces poèmes, c’est sentir une vibration ancienne qui traverse les siècles et continue pourtant d’éveiller l’âme moderne comme si elle venait d’être écrite ce matin. Dans cette langue persane qui respire comme une braise, il déploie une mystique de la danse, du souffle et du feu intérieur. Le monde devient un tourbillon d’atomes, un mouvement cosmique dans lequel l’homme retrouve la mémoire de sa source.
Les vers où il évoque le sama, cette danse tournoyante qui met les soufis au rythme du cosmos, donnent l’impression de toucher l’unité secrète entre la matière et l’esprit. On y perçoit ce que la métaphysique tente d’expliquer depuis des millénaires : que le réel n’est qu’un voile posé sur une pulsation infiniment plus vaste. Dans cette ivresse où s’effacent les limites du « moi », Rûmî décrit l’élan d’un être qui se reconnaît enfin dans la lumière dont il est issu.
Ce qui frappe aussi, c’est sa lucidité. Les doutes, les athées, les aveuglements du monde profane ne l’effraient pas. Il les regarde avec une tendresse presque ironique : celui qui nie le soleil n’a fait que fermer les yeux. Rien n’est plus limpide que cela.
Et puis il y a cette nostalgie, cette gravité douce, ce rappel que toute âme n’est qu’un voyageur égaré sur la terre, aspiré par un mouvement ascendant qui nous dépasse. Nous avançons comme des nuages qui changent de forme, comme un vent qui cherche sa propre origine.