J'ai dévoré ces mémoires, même s'il faut reconnaître qu'ils sont assez paresseux, parfois à la limite du radotage. Le mot de liaison préféré de Woody est "Anyhow", utilisé pas moins de 50 fois (oui, j'ai compté). C'est dire. Du reste il revendique la paresse dans sa poétique de cinéaste : il filme comme ça vient, ne multiplie pas les prises, fait tout pour être rentré chez lui de bonne heure. Ça a beau être écrit au fil de la plume, c'est une plume alerte et souvent drôle, avec des portraits très bien croqués — sa capacité à créer des personnages n'étonnera personne. En fait, c'est l'éditeur qui aurait dû être moins paresseux, et supprimer plusieurs moments affligeants où l'auteur raconte littéralement la même anecdote d'un chapitre à l'autre. Il aurait suffit de relire le manuscrit avant impression…

Je pense que ce sont surtout les avocats d'Allen qui ont relu ça de près. Inévitablement, un tiers de l'ouvrage est consacré aux accusations de pédophilie sur Dylan Farrow : d'abord deux longs chapitres sur l'affaire en tant que tel au début des années 1990, puis un dernier plus loin sur la résurgence de tout cela dans le sillage de #MeToo. Dans ces chapitres, le ton change. Moins d'humour, moins de joyeuse anarchie, mais de la rigueur et du factuel. On sent que c'est passé entre plusieurs mains pour que rien ne dépasse. Et j'avoue que ces chapitres achèvent de me laisser penser qu'effectivement ces accusations ne tiennent pas la route. La démonstration est convaincante (et sur le sujet on peut lire aussi le témoignage de Moses, le frère aîné de Dylan : http://mosesfarrow.blogspot.com/2018/05/a-son-speaks-out-by-moses-farrow.html). Allen prétend qu'il prend avec distance l'ostracisme dont il fait l'objet désormais aux États-Unis, mais il est évident que ce livre a surtout été écrit pour se défendre. C'est bien le sens du titre: 'Apropos of Nothing'.

Les cinéphiles risquent de rester un peu sur le carreau car Allen refuse de s'exprimer en cinéaste, encore moins en artiste. On ne cherchera pas de leçons de maître là-dedans. Comme réalisateur de films, il est d'abord intéressé par les acteurs, et par l'écriture. Et pour l'écriture il n'a pas tort, car c'est effectivement son principal et constant talent, ce que le livre prouve malgré sa désinvolture. Concernant les acteurs, il est dommage qu'un éditeur intelligent n'ait pas toiletté un peu les remarques sur le physique de ses actrices, dans la dernière partie de l'ouvrage (pauvre Scarlet !). Ça ne manque pas d'humour mais on n'a pas manqué sur internet de faire des collages de citations pour prouver qu'Allen apprécie la plastique des actrices, et donc possiblement celle des petites filles (quelle époque formidable). C'est d'autant plus dommage qu'il parle très bien des acteurs et encore mieux des actrices, quand il essaie. A fortiori de celles qui ont partagé sa vie — même Farrow. Au fond, à ses yeux ce sont les acteurs qui sont les authentiques artistes dans son œuvre — pas lui, qui se peint surtout en faiseur ayant eu de la chance.

Jeremias
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le 27 août 2020

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