Avant-dernier recueil de poèmes de VH, à 75 ans. Il s'applique à faire tenir ensemble trois fils conducteurs : une lyrique grand-paternelle, bien connue et souvent méprisée (Jeanne était au pain sec...) mais qui ne me déplaît pas ; une satire de la droite bonapartiste et cléricale ("Que les petits liront quand ils seront grands": c'est le titre de la dernière section) ; une métaphysique qui identifie la présence de Dieu dans les petites choses, et en particulier dans l'enfance. Il s'agit aussi de montrer "Grand âge et bas âge mêlés" (autre titre d'une section) : les enfants et les vieillards, à peine sortis des limbes ou tout près d'y retourner, sont les êtres les plus proches du divin. Et puis Dieu, avec son sourire bonhomme et sa grande barbe blanche, pourrait bien trouver un relais dans la figure de VH (si !).

Ces trois fils peuvent paraître hétéroclites mais VH parvient véritablement à faire de l'enfance un thème-charnière, qui ne limite pas le recueil à la caricature autobiographique qui en est souvent faite. En outre même les poèmes les plus "circonstanciels" ou anecdotiques sont attendrissants, sans excès de bons sentiments, car ils ne manquent jamais d'une pointe d'auto-dérision ou d'une part de fantaisie formelle.

Pourtant j'ai du mal à percevoir véritablement la nécessité de ce recueil. Les poèmes métaphysiques déroulent des thèses déjà partiellement exposées dans Les Contemplations, qui n'insistait certes pas autant sur l'ontologie de l'enfance. Notons toutefois que le poème qui clôt le recueil, "L'âme à la poursuite du vrai", est extrêmement réussi (même s'il évoque "Ibo", dans Les Contemplations !). Les poèmes satiriques reprennent pour beaucoup la veine de Châtiments. On trouve des hymnes patriotiques franchement mauvais pour appeler à redresser la France humiliée — Déroulède ne les aurait pas reniés. Beaucoup de textes satiriques sont tout de bons de médiocres discours versifiés, et qui ne prétendent pas être autre chose ("A propos de la loi dite liberté d'enseignement"). D'autres des poèmes de cette veine attaquent les tenants de l'esthétique littéraire classique. Oui, en 1877, alors que Hugo est installé depuis si longtemps dans le paysage littéraire, et déjà en voie de canonisation ! Sauf erreur, les attaques dirigées contre lui à cette époque reposent moins sur des motifs littéraires (quoi de sulfureux ou de si moderne dans sa poésie désormais, après Baudelaire, Lautréamont ou Verlaine ?) que politiques. Difficile de ne pas voir une posture ou une volonté de prolonger la fougue de 1830 dans les poèmes qui en sont encore à attaquer Laharpe, Batteux, Boileau ou Nisard Dupin, au nom d'une esthétique que Hugo est le seul à porter encore en France.

Reste finalement le lyrisme quotidien et "mignon" et la tendresse sincère qui habite les évocations de Jeanne et de George. Ce n'est pas rien mais c'est peu.

Si bien que si je devais retenir quelques textes marquants dans ce recueil je citerais, outre "L'âme à la poursuite du vrai" déjà mentionné :

  • La série (quatre magnifiques poèmes disséminés dans le livre) de "Jeanne endormie". Le grand-père penché sur le berceau de l'enfant, dont le sommeil a tant à lui apprendre (et sans didactisme, dans ces textes-ci), sur le cosmos et sur les desseins de Dieu.
  • La petite "Épopée du lion", dans laquelle La Fontaine n'est jamais loin.
  • Et surtout l'un des poèmes les plus étonnants et les plus formellement audacieux de Hugo : "Fenêtres ouvertes — En dormant", où l'alexandrin est fragmenté comme jamais, tiré vers la prose par la contestation de ses frontières internes, pour intégrer des perceptions auditives dans une forme de proto-impressionnisme absolument inattendue chez cet auteur.

(À noter : une excellente préface de Michel Butor dans l'édition Poésie/Gallimard)

Jeremias
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le 26 juil. 2020

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