Souvenirs d'un pas grand chose ou le récit d'un homme qui a connu beaucoup de choses parce qu'il n'avait rien.

Il a connu le dégoût de soi et le caractère aléatoire de la laideur, le visage mutilé par des furoncles incessants.
Il a connu la misère du désir, voyant les filles sur lesquelles il avait les yeux rivés enjamber les portières des voitures des gosses de riches. Il a connu la violence de la rue, où le seul moyen pour ne pas se heurter à des coups est d'adopter une attitude froide et agressive. Il a connu la bizarrerie d'être étranger à son toit, avec un père exigeant de lui par le cuir à rasoir une réussite qu'il n'a pu obtenir lui-même. Il a connu l'excitante brûlure de l'écriture, enfermé chez lui et n'ayant rien d'autre à faire. Il a connu l'ivresse de la boisson, seul véritable rempart face à son malaise social et son incompréhension du monde extérieur.

Consumé par la peur, la rage et la tristesse, que faire sinon en rire? C'est avec une ironie détonante que Bukowski partage son vécu. Claquante comme un crochet du gauche, elle nous force malgré nous à glousser dans des situations où des larmes seraient plus appropriées. La plume de l'auteur est un voyage où le lecteur s'installe avec lui sur la banquette d'un bar mal famé et écoute ce qu'il a à raconter. Elle met instantanément à l'aise. Ses frasques, nombreuses et extraordinaires, rappellent à un moment ou à un autre les épreuves que le liseur a lui aussi pu traverser.

Et pour cause, Bukowski parle à tout le monde. Fond du collier, il n'arbore aucun masque. Tout est authentique. Il a été de ceux qui fantasmaient sur les culottes des maîtresses d'école. Il a été de ceux qui ont laissés sur le carreau des âmes en peine afin de se préserver. Il a été de ceux qui débagoulent sur le système et qui veulent en faire le moins possible pour l'achever. Il a été de ceux qui trouvent que les apparentes joies de l'existence n'ont aucun intérêt.

Ses pages réfutent la candeur. Elles ajoutent que si l'erreur est humaine, un humain peut l'être aussi. Elles susurrent que la vie est comme un premier match de boxe : les deux opposants ne savent pas ce qu'ils valent mais doivent se battre.

Lui, s'est de toute évidence bien débrouillé : après plus de 10 relectures, les ricanements involontaires et la fierté d'être un infréquentable ne cicatrisent pas. Chef d'oeuvre.
JulianDesjardin
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le 3 sept. 2013

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JulianDesjardin

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